Emile Bela

Lettre d’une Cuisine en colère

Cher Emile,

J’ai voulu te parler face à face, mais compte tenu du degré de ma colère, je pourrais perdre mon sang froid et te gifler sur la joue droite pour faire voler en éclat tes 64 dents noirs qui pullulent dans ta vilaine bouche que tu utilises pour manger dehors là. Toutefois, moi je ne suis pas si violent que toi, oui, parce que violent il faut bien l’être pour faire subir à sa voisine de cohabitation pareille torture morale. J’ai donc résolu de t’écrire une lettre pour te dire combien j’en ai marre d’être négligée dans cette maison. Non, Emile, trop c’est trop ! Je ne peux plus contenir ma rage. Il faut qu’aujourd’hui je te dise ce que j’ai sur le cœur qui me ronge.

Nous vivons à cinq dans cette maison, c’est-à-dire toi, ton salon, tes toilettes, ta chambre à couché et moi, ta cuisine.

Cher Emile, dans seulement deux jours, c’est à dire le 5 Mai 2016, nous aurons passé une année entière ensemble dans ce pays étranger où tout est si étrange ; soit 365 jours de cohabitation et moi, ta pauvre cuisine, je ne bénéficie jamais des mêmes traitements que tu accordes aux autres. Pas un jour, pas même un seul pitoyable jour de présence pour faire cuire même un oeuf. Est-ce normal ça, hein Emile ? Tu es grossièrement absent et diablement indifférent face à mes supplications et celles des autres qui se soucient de ta santé dont ta sœur ainée, mon amie, qui t’appelle chaque jour presque pour te conseiller de me fréquenter, de te débrouiller pour cuisiner et cesser de te plaindre des ballonnements constants de ventre. Pourquoi es-tu si sourd à toutes ces voix ? Pourquoi fais-tu ça, hein Emile ? Qu’est-ce que je t’ai fait de si mal dans cette maison pour que tu me méprise tant, hein ? N’ais-je pas droit, moi aussi, à un minimum d’attention ? Peux-tu avoir le courage de me répondre ?

Face aux incessants appels de mon amie, tu as acheté des ustensiles de cuisine (cuillères, fourchettes, louches, écumoires, trois casseroles, sel, huile et tralala), une bouteille de gaz chargée, une cuisinière vitrée avec même des fleurs, en un mot tout ce qu’il te faut pour cuisiner. J’ai sauté de joie ! Tu lui a envoyé les photos. Elle et moi t’avions félicité… et depuis, plus rien ! Emile, est-ce donc nous que tu as trompé ? Tu nous prends pour qui, toi ? Depuis quand tu mens ? Tu es un politicien, hein ?

Voici quatre mois environ que tu as chargé une malheureuse petite bouteille de gaz et pourtant elle demeure presqu’intacte à part les jours où tu as eu l’intention de cuisiner où tu as ouvert et oublié de fermer avant de venir te contenter d’un pot de Yaourt. Si seulement ce foutu de frigo pouvait se gâter !

Tu penses qu’avec une telle attitude tu auras une fille pour t’épouser? Je t’apprends qu’aucune femme n’aime un mec nul à la cuisine, donc mieux vaut apprendre dès maintenant. Tu crois qu’en plus, avec tes préférences capricieuses, du genre je n’aime pas les grillades, je préfère les mets africains, j’adore le foutou et patati patata, tu auras une fille à ta mesure ? Quoi, c’est la fille de quelqu’un qu’il a entretenu, scolarisé et rendu si bling bling que tu as aimé au premier regard que tu vas transformer en robot à cuire, hein Emile ? En plus, te piller du foutou ?! Quelle fille a envie d’être aussi musclée qu’un joueur de rugby après seulement deux ans de vie de couple ? D’ailleurs, penses-tu qu’avec cette génération de fille 2.0 occupées à tweeter, à mettre à jour leurs profils Facebook, connaissant tous les noms des actrices brésiliennes et indiennes mieux que les ingrédients pour faire une sauce tomate, elles auront le temps pour ça ? Et quand bien même qu’ils en auraient qui se distingueraient, crois-tu qu’elles seraient toujours prêtes à ajouter aux stress de leurs boulots, celui de ton ventre ?

Emile, on te dit toujours que quand tu vas te marier tu vas grossir, mais laisse moi te dire que si c’est la nourriture qui fait grossir, sache que toi seulement même marié, tu ne pèseras pas plus que tes 52 kg actuels. J’ai même peur qu’on vienne te ramasser un jour tombé en hypoglycémie.

Cher Emile, ce qui me fait le plus mal, c’est que, pour ne pas me pratiquer, tu es venu déposer en mon sein ton seau qui te sert de poubelle. Emile, depuis quand une cuisine est faite pour les ordures, hein ? Je ressemble à une poubelle, moi ? Si tu veux transformer une partie de ta maison en poubelle, pourquoi pas ta vilaine douche, hein ? N’est-ce pas là-bas que tu vas déposer tous ces vilains trucs que tu avales à longueur de journée dans tous ces nombreux fast foods de cette ville, hein ? Emile, pourquoi tant de haine gratuite ? Que fais-tu des règles de cohabitation? Pourquoi dès ton retour de travail tu files dans la douche pour après t’installer dans ton fauteuil regarder la télé ou lire un bouquin ou simplement communiquer avec les gens qui sont si loin alors que moi je suis juste à un pas pour ensuite courir dans ta chambre à coucher sans même ouvrir cette porte qui m’empêche de respirer ? A force de les pratiquer, tu as fait perdre l’une de toutes les clés des autres portes sauf moi qui en ai toujours deux. Emile, l’égalité de traitement aurait-elle pris ses congés chez toi, hein ? J’attends ta réponse le jeudi à la même heure.

Abuja le 3 Mai 2016

Signé, Une cuisine qui en a marre d’être abandonnée !


Voici comment le singe a fini dans la sauce graine

Il y a longtemps, très longtemps, les hommes et les animaux, tout type compris, vivaient libres ensemble en ville. L’homme jouait si bien son rôle de maître protecteur des créatures de Dieu sur terre qu’il en était bien récompensé. Il mangeait à sa faim et buvait à sa soif. Il vivait loin du péché jusqu’à ce que la tentation ait raison de lui et que le péché devienne sa seconde nature ; c’est alors que tout commença à manquer puis, progressivement, s’installa la famine. N’ayant plus à manger, il s’empara des animaux l’un après l’autre créant ainsi l’inimité entre ceux-ci et lui. Pour échapper à sa folie meurtrière, tous, sauf le singe, ami fidèle de l’homme, ce qui lui valait d’être épargné, résolurent de quitter la ville pour la brousse. Les chimpanzés, les gorilles, les oiseaux et autres s’installèrent dans les arbres craignant une éventuelle poursuite de l’homme.

Plusieurs jours s’écoulèrent et la situation s’empira pour l’homme qui devint de plus en plus distant du singe. Voyant venir le mal, le singe anticipa et prit pour prétexte d’aller chercher à manger à l’homme -son ami, dans la brousse. Il s’en alla et n’en revint plus. Il trouva certains animaux dans les arbres sautant de branche en branche. Poussé par l’envie et son zèle débordant, se trouvant trop beau et trop propre pour dormir au sol et se faire marcher sur les pieds par la torture qu’il trouvait trop idiote pour porter indéfiniment le même fardeau sans s’en lasser, il décida de vivre dans les arbres. Il vit que c’était bon et y resta, s’aventurant occasionnellement au sol pour rire de la torture.

Un jour, le chimpanzé mit en jeu son titre de maître des arbres et invita tous les animaux dans les arbres à une parade pour exhiber leurs qualités de sauteurs. On envoya le léopard en informer les animaux restés au sol. Ces derniers, l’expérience aidant, avaient développés des techniques avancées pour échapper au chasseur -à l’homme, au cas où il surgirait. Ils se rassemblèrent et l’aigle, l’arbitre, donna le coup d’envoya. Le jury était composé du Panda Roux, du hibou, choisi pour ses yeux, du Perroquet, pour signaler toute faute et était présidé par le serpent. Le spectacle commença. L’écureuil emporta l’assistance de joie par ses prouesses, puis l’ours brun -roi de l’escalade-, suivi du lynx, du gibbon noir etc. Tous passèrent à tour de rôle. Le spectacle était inédit par sa qualité. Les cris montèrent si forts qu’ils parvinrent à l’homme qui s’empara de son fusil et couru à la chasse.

Ce fut le tour du singe. Il fit un bon spectaculaire des deux mains, tous applaudirent. On lui fit signe d’arrêter, mais il jura de faire mieux que tous. Il décida de continuer et sauta d’une seule main, on applaudit plus fort et lui demanda d’arrêter. Il insista et sauta avec trois doigts ; ce fut extraordinaire ! on acclama ses exploits et lui demanda d’arrêter. Il persista et sauta d’un seul doigt, ce fut tellement magnifique que le lion, rois des animaux restés au sol applaudit et le chimpanzé accepta de céder son titre au singe. L’aigle décida de mettre fin au spectacle, on intima au singe de s’arrêter. Il s’y opposa et promit l’inédit. Il décida de sauter de dos et du revêt de la main. On l’en dissuada et le supplia d’accepter le titre et mettre fin au spectacle. Il s’obstina tellement que le jury le laissa faire. Mais, cette fois-ci, comme le disent les nigérians, « Water don pass Gari », traduit littéralement, « l’eau déborda le gari ». Le singe se retrouva au sol à la déception de tous, se tortillant de douleurs. C’est en ce moment là qu’arriva l’homme et, le voyant, dans un mouvement spontané, tous les animaux au sol se dispersèrent.

L’homme bondit de rage sur son ex-ami à qui il n’avait pas pardonné la trahison, lui assomma un coup de machette et s’empressa, une fois à la maison, de le faire cuire à la sauce graine. Il découvrit combien c’était si succulent et depuis lors, il ne s’en ait plus lassé fouillant les forêts et autres lieux à la recherche d’un singe, la sauce graine précuite attendant dans la casserole…

De cette histoire, retenons tout simplement ceci : Si le doute est une maladie susceptible de vous ronger jusqu’à détruire même votre âme, le trop plein d’assurance empreinte d’orgueil, lui, en est pire car très souvent, il peut conclure fatalement.

En toute chose, il faut avoir de la retenue. Il faut savoir prendre du recul et tirer les leçons pour aller plus loin. Il faut, certes, partir de ses forces intérieures et ses convictions personnelles, mais il faut surtout connaître ses limites et savoir écouter les conseils de ceux qui vous entourent dont la plupart, d’un œil extérieur et mieux informé, voit ce que vos yeux couverts par les écailles du zèle et de la fougue de réussir ne peuvent pas voir… Il n’y a pas de mauvais conseil, mais de mauvais usages des conseils que l’on reçoit.

Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Tout ce que nous faisons ou vivons, l’a déjà été ou vécu par d’autres qui en ont tirés des leçons dont il faut savoir s’en inspirer pour aller plus loin… Du moins, c’est ce que je pense.

Une fiction inspirée pendant mon vol d’Abuja à Johannesburg

A Audrey…


Une passion partagée : La lecture

Deux, trois quatre jours sans lire ou écrire me donne la sensation d’étouffer, d’enfermer quelque chose en moi qui a besoin de s’évader à travers les mots. Oui, ça peut paraître exagéré mais croyez-moi, ça ne l’est pas du tout ! J’ai donc ouvert mon premier blog ‘Afrique Objectif Développement’ (en Avril 2011) puis à la suite du fameux concours Mondoblog de RFI dont j’en ai été lauréat, le second ‘Chroniques des Temps Nouveaux’ (en Octobre 2012). En plus de lire, j’ai écrit, parfois pour ne pas dire grand’chose mais très souvent pour dire trop de chose avec mes mots.

L’expression de ma passion pour la lecture et l’écriture, deux faces d’une même pièce, m’ont fait rencontrer des gens que j’aime et qui me le rendent, des hommes et des femmes, jeunes et adultes dont l’intelligence force l’admiration auprès de qui j’ai appris des choses qui façonnent chaque jour ma vie.

Avec chacun de ces ami(e)s, je parle de livre et de tout ce qui l’entoure. J’offre et reçois des cadeaux de livres. Ça me plaît et j’aime!  Ça leur plaît et ils aiment! On vit notre passion commune et on s’éclate!.

Un matin, un de ces esprits fertile décide de récompenser ces mordus de lettres en leur décernant le ‘Prix de l’addict lecture’. Entendez le prix de celui qui ne peut plus se défaire de la lecture. Un matin, une de mes meilleures amies, Mélissa Johnson (FAMCHOCOLAT) que cette passion de la chose littéraire m’a permis d’avoir a estimé que je mérite ce prix. C’est plutôt un HONNEUR. Mais, la particularité de ce prix, est qu’il t’emmène à répondre à une série de questions avant d’en poser à ceux/celles qui le méritent, selon toi. Ci-dessous mes réponses :

Quel auteur aimerais-tu faire revenir à la vie ?

Je n’ai toujours pas compris comment on peut s’appeler François Marie Arouet ou VOLTAIRE, écrire une œuvre aussi UNIQUE que Zadig‘ et un matin, non sans avoir fini de résoudre les énigmes d’un monde méchant, d’hommes envieux comme le brigand Arbogad, voleur sympathique et généreux, de femmes aussi infidèles qu’ingrate comme Sémire et rendre l’âme à celui qui la lui a prêté, sans doute pour contempler «l’ordre introuvable de l’Univers » ailleurs, dans un monde qui n’est pas le nôtre…

Une couverture de livre que tu ne te lasseras jamais de regarder ?

La qualité du contenant traduit celle du contenu. Un Chef d’oeuvre qu’est la Carte d’Identité de Jean-Marie ADIAFFI, un auteur trop tôt parti sans jamais s’en aller.download

Quelle héroïne (préciser le livre) aimerais-tu incarner et pourquoi ?

J’aurais aimé être une femme pour incarner Monique, l’héroïne du livre qui a eu et continue d’avoir la plus grande influence sur ma vie : Les Frasques d’Ebinto d’Amadou KONE.  En Monique cohabitent sans s’entremêler les traits nécessaire pour une vie réussie : Amour et Douceur ; Patience et tempérance ; Pardon et Compréhension, humilité et fidélité…

De quel livre ne pourras-tu jamais te séparer, même pour un prêt ?

Si j’avais été Ministre de l’Education Nationale d’un de ces pays Africains où  «tous les jours, la haine se banalise et nous interroge dans nos villes, nos quartiers, nos maisons, distillée par le machisme, l’individualisme, le narcissisme, les préjugés et la discrimination », où le vivre ensemble est chantée à gorge déployée sur la place publique sans actes,  où pullulent les sectes religieuses qui sodomisent les consciences avant de les endormir et les anéantir, où règne la violence, où la police n’existe que pour les plus forts au détriment des faibles, où les journalistes ne vérifient pas leurs informations avant de les diffuser, où l’amour de l’argent pousse chacun à faire n’importe quoi pour devenir riche, où Le mensonge finit par être érigé en mode de vie, où la haine s’est emparée des cœurs et qu’on cherche à évacuer, je ferais distribuer à chaque écoliers, LES PRISONNIERS DE LA HAINE, un chef d’œuvre de Vénance KONAN, afin de semer dans ces cœurs tendres les graines de l’amour de soi et de son semblable. En attendant je garde jalousement mon œuvre.

Le genre de romans que tu ne liras jamais ?

Pourquoi lire les histoires des contes de fées racontées dans les collections ADORAS et penser être en train d’amasser l’essentiel pour une vie heureuse sachant que même l’auteur de ces histoire n’y croit point.

Parce que je crois que vous êtes les meilleurs, parce que nous partageons la même passion, que vous c’est moi, je vous tends la main pour que vive le livre et la lecture !


Présidentielle 2015 en Côte d’Ivoire : dix petits nègres dans une course

Il était une fois, dix petits nègres décidèrent de gouverner les « bouts de bois de Dieu » rassemblés sur une Côte formée d’Ivoire. Ils se lancèrent dans une course. Celui qui franchirait la ligne d’arrivée le premier serait couronné et porterait le titre rocambolesque de président de la République d’Ivoire. Pendant cinq bonnes années, il aurait droit de vie et de mort sur les hommes et les femmes, leurs enfants avec. Il déciderait de quand et où se lèverait et se coucherait le soleil. Que c’est beau le pouvoir, admirent-ils avec des sourires de fin de banquet. Ils donnèrent des instructions à leurs griots qui sortirent les grelots, parcoururent villes, villages et campements annonçant la bonne nouvelle faisant des citoyens, des disciples. Dans l’euphorie de l’attente du coup d’envoi de la course, les dix petits nègres prirent des verres de cognac, mais trop forts, qui les emportèrent dans des tourbillons si puissants qu’ils leur firent perdre la tête au point que chacun se mit à délirer promettant ciel et terre.

Pendant ce temps, à côté, se trouvèrent les aigris. Cachés derrière leurs fenêtres, ils tirèrent le rideau et regardèrent d’un œil moqueur ces athlètes. Ils maudissaient à voix étouffées le géant parmi eux, ce natif d’ailleurs, ce méchant, cet incompétent, cet usurpateur et surtout cet assassin, trouvèrent-ils, pour avoir dépourvu le guerrier, leur idole, de tous ses attributs de combats et contribué à sa mise en cage loin là-bas.

De son côté, l’arbitre coincé dans sa tenue qu’il n’en veut visiblement plus est sorti le matin et a donné le coup d’envoi en criant : Bayéééété !! En cœur, les dix petits nègres ont répondu, Baaaba !!! Signalant ainsi qu’ils étaient prêts. Mais en réalité, tous n’aspiraient pas réellement à la couronne du chef. Car, parmi eux, il y avait des arnaqueurs, des commerçants d’attiéké, mais aussi des gens qui cherchaient des moyens pour se faire payer leurs créances. A la fin, l’histoire a fait penser à celle que racontait Agatha Christie dans son célèbre œuvre « Les Dix Petits Nègres ». Si l’œuvre devrait être rééditée et l’histoire adaptée à chaque pays, ou à chaque circonstance, dans celle actuelle de la Côte formée d’Ivoire, elle ressemblerait à celle-ci:

Dix petits nègres décidèrent de gouverner ceux qui n’y voient rien ; l’un d’eux jura de lutter contre l’égoïsme, la corruption et la pauvreté, de rapporter beaucoup d’argent à la caisse publique pour le bénéfice de tous. Un matin, une main géante tira de cette même caisse, 100 millions et les lui tendit. Il les saisit et les cacha dans les tréfonds de sa poche. Quand on lui rappela son serment, il répondit à voix basse que ce n’était que le remboursement d’une partie de sa créance. Il fondit dans la nature et il n’en resta plus que neuf.

Neuf petits nègres s’obstinèrent à présider aux destinées de 22 millions de têtes noires. L’un d’eux banda ses muscles, sortit sur la place publique tambour battant et, micro à la main, invita ses adversaires au combat. L’écho parvint aux adversaires qui le rejoignirent parés de leurs accessoires de combat. Lorsqu’il entendit le coup d’envoi, il trouva que la posture et le moment choisi par l’arbitre pour ouvrir le combat présageaient son parti pris. Il se retira dans sa tanière la tête baissée comme un cocu débouté, et il n’en resta plus que huit.

Huit petits nègres décidèrent d’étendre leur règne sur 322 462 km2. L’un d’eux s’étonna que des citoyens paient pour circuler sur de simples tas de briques superposées sur leur propre lagune, dans leur propre pays. Il se tint sur le tas de brique au milieu de l’eau et jura sur ce qu’il lui restait de cheveux sur son crâne décoiffé par les années passées à compter des billets de banque qu’avec lui, plus personne n’aurait à sortir un seul sou pour traverser. Pris dans son tourbillon causé par son verre de cognac trop fort, il glissa et se retrouva dans la lagune. Sentant sa noyade venir, il se retirera de la course toute honte imbue. On ne parla plus de lui, et il n’en resta plus que sept.

Sept petits nègres quittèrent le starting-block vers la ligne d’arrivée, tous zélés comme de nouveaux couples. On les fit asseoir et leur tendit le micro les invitant à proposer leurs remèdes contre les maux dont souffrent ceux qui n’y voient rien. L’un d’eux se rendit compte de la complexité de la vie, s’étonna et s’écria : « Mais, c’est complexe hein ! ». Les gens méchants lui infligèrent un violent coup de pied dans le cul l’invitant à aller simplifier ses remèdes. Il s’en alla par une fenêtre complexe, et il n’en resta plus que six.

Six petits nègres promirent de remuer le ciel pour faire pleuvoir les étoiles et faire scintiller le bout de terre où vivent les gens qui n’y voient rien. L’un d’eux se crut dans un royaume, se vêtit comme un chef de canton, et, dans un langage approximatif empreint d’arrogance et de suffisance, décida d’arnaquer ses futurs administrés. On le surnomma « Nikki. Nikki» qui voulut « n—-r finit par se faire n—-r par les gros n——s ». Il n’en revint pas et voulant se tenir debout, se mélangea dans son accoutrement, s’écroula et se cassa la grande gueule. Il se tut et s’étouffa, et il n’en resta plus que cinq.

Cinq petits nègres se lancèrent dans une course qui exigeait assez de ressources financières pour la préparation. L’un d’eux reçut une offre providentielle de 100 millions de franc. Son épouse se mit à narguer les voisines. Son propriétaire de loyer à qui il devait 18 mois lui assura son amitié. Il voulut cependant séduire par son sens d’intégrité débordant qui excelle les limites du raisonnable. Il refusa l’offre au grand désarroi des siens. Tout le monde le prit pour un fou et lui tourna le dos. Même son épouse et ses enfants le vomirent pour sa naïveté. Il s’essouffla et s’écroula après 10 mètres de course. On enjamba son corps et il n’en resta plus que quatre.

Quatre petits nègres croyaient en leur chance de terminer premier de la course. L’un d’eux trop sûr voulu innover dans les promesses. Dans la tourmente de son verre de cognac, il promit de rendre la Côte formée d’ivoire durable. Mince !! S’écrièrent les « bouts de bois de Dieu ». Un ivrogne qui avait entendu la promesse se releva de son caniveau et lui dit « Puré, vous mentez hein ! ». Depuis leurs salons, les » bouts de bois de Dieu » le huèrent et s’accordèrent à le rendre opposant durable. Il en fut ainsi. Il retourna dans l’opposition réfléchissant comment rembourser ses dettes contractées pour la course et il n’en resta plus que trois.

Trois petits nègres promirent de faire de la terre d’éburnie, le centre du monde, d’y faire pleuvoir des milliards, de construire des gratte-ciels rien qu’en vendant de l’attiéké à la Chine. La nouvelle parvint aux Chinois et le gouvernement chinois non content qu’on veuille s’enrichir sur le dos de son peuple interdit l’importation d’attiéké. Il ne sut plus que faire avec ses tonnes produites. On l’obligea à les avaler lui-même. Il en consomma une si grande quantité que son ventre s’explosa. On jeta ses restes aux chiens, et il n’en resta plus que deux.

Deux petits nègres considérés comme les plus sérieux de la course avançaient à grands pas vers la ligne d’arrivée. L’un d’eux croyant pouvoir compter sur les membres de sa famille qui l’avait du reste renié, se trompa. Il cognac, du front, le mur et tomba raid évanoui. Les aigris sortirent leur langue derrière leur fenêtre en signe de moquerie et entonnèrent en cœur « C’est bien fait pour toi ! On t’avait prévenu ». Quand il se releva, il se mit à courir vers le Sud, on lui signifia qu’il avait perdu le nord où il fallait aller. On le consola de son échec qu’il admit. Il s’essuya les larmes, retourna s’asseoir et il n’en resta plus qu’un.

Un petit nègre réussit à franchir la ligne d’arrivée dans un temps record de 83,66 secondes. On le couronna et l’appela NANADO. Personne ne cria au scandale. Même certains de ses adversaires lui firent un baiser pour le féliciter, question de se donner de la contenance et se refaire une image mise en lambeaux par la rude épreuve de la course. L’arbitre se tint sur la place publique et mit fin à la course. NANADO devint président de la République de la Côte formée d’Ivoire avec tous les droits. Les lampions s’éteignirent et on en parla plus.


« Monsieur, demain je pars » m’a dit Daniel

Daniel a 16 ans. A cet âge, dans beaucoup de pays on est considéré comme mineur et donc non autorisé à travailler. On dépend financièrement de ses parents. Daniel est un jeune Nigérian. Il a quitté sa famille pour s’installer dans la capitale Abuja afin de construire sa vie. L’adolescent a trouvé un emploi d’aide ménager. Il savait que ce serait un travail difficile surtout pour son âge. Il a toutefois accepté cette proposition parce que c’était chez un pasteur, un « homme de Dieu ». Il ne devrait pas avoir de chien plus heureux que celui d’un boucher. Bon, je crois que c’est ce que Daniel s’est dit. Sauf qu’il devait avoir oublié que le boucher ne vend pas que la chair, mais les os aussi. En fin de compte, il vaut mieux être le chien du client que celui du boucher.

Daniel, c’est la machine à tout faire. Il est le dernier à se coucher la nuit, mais le premier à se réveiller le matin. Ses heures de repos, il en bénéficie quand son maître dort ou quand il est absent. Mais l’ampleur des tâches ne lui permet pas toujours de respirer. En effet, quand il a épuisé les travaux du maître, il doit s’occuper du reste de la famille. Il y a la sœur aînée qui a une course urgente à faire, la mère qui se souvient qu’elle manque de son médicament du soir et qu’il faut courir l’acheter, la petite sœur qui ne comprend pas pourquoi la table n’est pas desservie alors qu’elle a  fini de déjeuner depuis cinq minutes. Et cela, sans compter le petit garçon qui menace de se cogner la tête contre la chaise parce que Daniel refuse d’aller acheter son chocolat à la boutique.

Le temps de travail journalier d’un homme est de 8 heures. En étirant un peu, on se retrouve à 10 heures. Mais çà, ce sont ces psychopathes de juristes et leurs acolytes dans les bureaux climatisés qui le disent au point que cela ne s’applique qu’à eux et à leurs semblables. Ces névrosés ont ajouté que tout employeur devra payer son salaire à  son employé de façon régulière pour lui permettre de vivre une vie décente. Il devra lui donner une assurance maladie, le déclarer à la sécurité sociale afin de lui garantir une retraite et tralala… Ça aussi ne s’applique qu’à ceux de leur classe.

Daniel, lui, fait son travail sans se plaindre, surtout qu’il envoie une partie de son salaire à sa mère, un salaire mensuel de 100 dollars américains. Daniel est le « boy » du pasteur qui enseigne le partage à ses fidèles le dimanche matin. Le soir, l’adolescent dessert la table après que l’homme de Dieu et sa famille ont fini de dîner et se contente d’un bol de riz qu’il cuisine avec pour seuls ingrédients de l’huile de palme pour le rougir et du sel. Parfois, après le repas il est autorisé à partager les restes avec le vigile.

Le patron de Daniel est le propriétaire de l’appartement que je loue. Daniel et moi habitons donc la même cour. Souvent, je l’invite dans mon salon et nous bavardons, nous mangeons, je lui glisse quelques petits billets sans pour autant que tout ceci fasse de moi un samaritain. Je le fais en reconnaissance de son courage, en pensant à mon neveu qui a le même âge que lui et aussi pour les services qu’il me rend chaque fois que je le sollicite et qu’il en a le temps.

Daniel me disait souvent qu’en décembre, il s’en irait et ne reviendrait plus à Abuja. Il m’a dit qu’il préférait vivre la misère chez lui, auprès de sa mère qu’il aime visiblement, plutôt que de perdre sa jeunesse à servir quelqu’un dans des conditions misérables. Daniel se distingue par son intelligence, son raisonnement qui surprend pour son âge, sa politesse, son savoir-vivre, sa courtoisie, sa générosité et surtout son honnêteté.

Un soir, en rentrant du travail, Daniel essuyait le véhicule de son patron. Lorsqu’il m’a vu, il s’est arrêté, s’est rapproché de moi et m’a dit dans un anglais approximatif : « Sir, tomorrow i dey go back home-Monsieur, demain je retournerai chez moi ». Je lui ai demandé s’il était au sérieux, il a répondu « oui ». Je lui ai demandé pourquoi, il m’a simplement répondu sur un ton d’abandon, « je n’en peux plus  ». Nos regards se sont croisés. Je n’ai pu affronter son regard une deuxième fois. Le premier sentiment que j’ai éprouvé, c’est de la culpabilité pour avoir contribué à alourdir ses peines en le sollicitant souvent, puis de colère contre un homme de Dieu qui exploite ceux qui le servent et proclament la bonté dehors. Le reste de mes sentiments a été un cocktail de compassion et de fierté pour Daniel.

Le lendemain, en allant au service, je lui ai glissé quelques billets, je l’ai félicité pour celui qu’il est, je lui ai dit merci pour tout et l’ai encouragé à ne point céder aux caprices de la vie, à croire surtout en lui-même et en Dieu. Je le reverrai puisque nous sommes en contact. En attendant, en plus des prières, ce qui me vient à l’esprit dans l’immédiat, c’est d’écrire ce billet pour déplorer le traitement que certains infligent à leur personnel de maison. Je voudrais surtout que chacun de nous porte son attention sur les défavorisés de la société et identifier le type de soutien à leur apporter. Ceci ne fera pas de nous des mères Térésa, certes, mais aura le mérite de contribuer à réduire les inégalités sociales, c’est de cela qu’il s’agit. Puisque Daniel est parti en fin de mois, il n’a pas eu droit à l’autre moitié de son salaire payé en deux fois.

Quand je pense qu’à cette liste déjà trop longue des bourreaux de l’humanité viennent s’ajouter les hommes de Dieu qui sur la place publique appellent à l’AMOUR du prochain, du BIEN, mais qui à l’abri des regards, exploitent les pauvres et les faibles.

(c) citation-celebre.com
(c) citation-celebre.com


« Embarquez-les tous », y compris Aka !

imagesL’histoire que je résume à travers ce billet est celle d’un jeune qui croit en la vie et en tout ce qu’elle a de meilleur et qui justifie qu’on se batte pour elle. Un jeune qui a des rêves, formule des projets et se donne les moyens de les réaliser; un jeune surtout qui croit en l’homme et aux vertus de l’hospitalité. C’est pourquoi actuellement, il se trouve dans une situation qui me peine.

Aka a 27 ans, voire un peu plus. Il est père d’une famille de quatre enfants. Il est né dans une famille modeste. Très tôt il a dû quitter l’école pour se tourner vers la pêche. Aka est devenu donc pêcheur comme ses oncles maternels avec qui il vivait à Boubélé, un petit village balnéaire dans la sous-préfecture de Tabou, au sud-ouest de la Côte d’Ivoire.

Le 1er janvier 2015 au soir, Aka a appelé son frère aîné qui est mon meilleur ami. Il lui a raconté un événement qui a chamboulé sa vie après avoir reçu chez lui quatre hommes. L’un d’eux serait originaire du Ghana tout comme leur mère. Arrivés pour la première fois dans le village, ils cherchaient où se loger. Aka ne voyait aucun inconvénient à les héberger sauf que son appartement trop petit ne le lui permettait pas. Il les aurait alors conduits chez le chef du village et leur aurait servi par la suite de tuteur en les aidant à trouver une maison à louer, avec l’accord du chef du village.

Le chef, lui, aurait été informé des jours avant de mouvements suspects d’un groupe de personnes complotant contre l’Etat ivoirien. Il devait donc signaler à la gendarmerie toute présence d’inconnus. Le dimanche 4 janvier, très tôt le matin, la gendarmerie encercla le petit village de pêcheurs. Elle arrêta les quatre visiteurs. Le chef avait bien sûr indiqué à la gendarmerie qu’Aka était leur tuteur. Chrétien pratiquant, comme tous les dimanches, Aka allait prier. Sur ordre des agents de la gendarmerie, il fut appelé. Grande a été sa surprise de se trouver face aux gendarmes et de voir ses  hôtes menottés.

Les mis en cause, eux-mêmes, auraient reconnu n’avoir connu Aka qu’à leur arrivée dans le village. Autrement dit, si déstabilisateurs ils étaient, Aka ne pouvait le savoir et ne saurait ainsi être considéré comme complice. Après avoir écouté Aka et tous les témoins, la gendarmerie demanda au chef du village ce qu’il pensait d’Aka et ce qu’il fallait faire de lui. Le relâcher ou non ? Sa réponse a été nette : « Embarquez-les tous ! »

Le chef a parlé et sa parole a été entendue. Au moment où je publie ce billet, soit sept mois après, Aka est toujours détenu à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca, sans autre forme de procès que celui rendu par le chef de Boubélé. Son délit ? « Atteinte à la sûreté de l’Etat ».

C’est la compagne d’Aka qui a informé son frère, mon ami, de son arrestation. La famille est restée sans nouvelles d’Aka pendant plusieurs semaines. Personne ne savait où il était détenu. Ce n’est qu’au bout de deux mois que ses proches ont appris qu’il avait été déféré à la Maca. Nous nous y sommes rendus. Il nous a raconté sa version des faits ’ que je viens de résumer. Je dis résumer parce qu’il y a d’autres détails que j’ai occultés, uniquement par souci de concision. Nous avons aussi rencontré celui considéré comme le chef de gang qui nous a donné sa version notamment sur l’arrestation d’Aka. Il nous a avoué qu’il aurait même plaidé pour qu’Aka soit relâché et que ce dernier ne serait pas là si le chef du village ne l’avait pas voulu ainsi. Le chef l’a donc voulu. Sa volonté a suffi.

Aka nous a appris qu’il avait été conduit dans une maison à Abidjan, où il aurait été entendu, sans avocat « par un juge spécial », lui a-t-on dit. Le juge, toujours selon lui, aurait dit qu’il ne devrait pas se retrouver là, mais le processus avait été déjà lancé et devrait donc suivre son cours. On a appris plus tard qu’il avait fait l’objet d’une enquête de moralité. Sa compagne nous a informés avoir été interrogée « par des gens »,  à Boubélé et depuis, plus rien. Coupable ou innocent ? Ni Aka, ni nous, ni sa famille ne le savons.

En y pensant, chaque nuit, ce sont des questions qui se succèdent dans ma tête. Que fait Aka à la Maca ? Qu’attend le juge d’instruction pour décider du sort de ce père de famille dont l’épouse a de plus en plus de mal à répondre aux questions de ses enfants. Les plus petits demandent pourquoi leur père est dehors depuis si longtemps ? Sept mois après, à quel stade du processus sommes-nous ? Jusqu’à quand Aka devra-t-il attendre ? La parole d’un homme, aussi chef soit-il, suffit-elle face à des hommes de droit, pour briser la liberté, voir la vie d’un citoyen ? Qu’en est-il des droits d’Aka qui n’a pas été assisté d’un avocat ? Que sait-on des rapports entre le chef et Aka ? Les deux hommes avaient-ils des antécédents ?

Je le répète, ce billet n’est qu’un résumé de l’histoire. Les détails auraient permis à chacun de mieux décider. Mon intention n’est donc pas de clamer l’innocence d’Aka, même si sa version des faits, confortée par celle de son codétenu ainsi que celle de son épouse, que mon ami et moi avions entendue, me pousse à émettre beaucoup de réserves sur sa culpabilité.

A travers ce billet, ce que je déplore, c’est le fait que le simple avis, visiblement pas même fondé, d’un homme suffise pour inculper un individu. Les juristes m’éclaireront un jour.C’est surtout le caractère de ce fameux délit d’atteinte à la sûreté de l’Etat qui explique que des citoyens soient privés de leur liberté pendant des mois, voire des années, sans procès. Dans le rang des visiteurs à la Maca, une dame m’a raconté que son mari en était à sa deuxième année de détention pour ce même délit qui reste à établir puisque son procès attend toujours.

Aka serait coupable, qu’il réponde de ses actes et soit condamné. C’est ce qui se fait dans un monde normal, dans une société civilisée, dans un Etat de droit. Mais, s’il ne l’est pas, qu’il soit libéré pour lui permettre de retourner affronter, au quotidien les vagues de la mer afin de subvenir aux besoins de sa famille. L’avenir de ses enfants en dépend. C’est sa vie. Et il n’en veut pas à la société pour cela.

La dernière fois où mon ami et moi nous sommes rendus à la Maca pour rendre visite à Aka c’est un garçon physiquement  affaibli du fait des conditions de vie dans son lieu de détention, mais psychologiquement fort que nous avons rencontré. Aka s’en sortira, j’en reste persuadé. Mais, ma prière pour lui est qu’il ne soit pas gagné par la haine, ni de son prochain, ni de son pays, ou même de sa propre vie. Parce que la prison, on n’en sort toujours, mais la seule d’où l’homme ne peut sortir demeure celle où l’enferme sa propre haine et dont parle Venance Konan dans son œuvre, « Les prisonniers de la haine ».

Sois fort, Aka

Tes enfants t’aiment !

Nous prions pour que tu t’en sortes bien !


Une pensée pour tous les pères, ces oubliés

Mon Fils,

J’espère que cette lettre te parviendra, d’une façon ou d’une autre. Demain, tu naîtras. Ma vie changera. Le regard du monde sur moi aussi. Mes responsabilités s’augmenteront. J’y ferai face. C’est ce que m’a enseigné mon père, ton grand-père. Je ne vivrai plus pour moi seul. On dira de moi, c’est bon signe. Il est devenu un homme ! Je porterai donc ce titre d’homme, non sans efforts pour surmonter aux préjugés forgés par ce monde sur les hommes et dont ils en souffrent souvent.

Tu sais mon fils, la société a voulu que la femme soit le sexe faible. Elle aussi l’a admise ainsi. Et elle s’est confinée dans sa position de victime. La même société a voulu que l’homme soit le sexe fort. Lui aussi l’a admis ainsi. Et il a bombé son torse pour prouver sa force qui fait de lui le bourreau. La société a ainsi opposé la victime à protéger au bourreau contre qui se protéger ignorant que parfois, le bourreau cherche lui-même à se protéger. N’ayant personne avec qui partager ses peines qui souvent le rongent, le bourreau choisit plutôt de les étrangler difficilement avec des armes qui l’exposent à la vindicte populaire et font de lui ce qu’on veut qu’il soit et qu’il refuse.

Afin d’équilibrer l’inégal rapport entre la victime présumée et le bourreau fabriqué, la société organise, en dehors d’autres choses,  une myriade de fête à l’honneur de la femme chaque année. Je n’ai rien contre ça, mon fils. Elle le mérite. Mais ce que je déplore c’est le fait que nous autres pères soyons oubliés, du moins que notre rôle soit moins reconnu et célébré.

Mon fils,

Dès les premiers moments de la grossesse de ta mère, j’ai su que les neuf mois que tu mettrais à venir au monde ne seraient pas une partie de loisir pour moi. Ta mère te porte physiquement et moi psychologiquement. Elle maigri, se déforme et se transforme à mesure que les jours passent. Moi aussi. Sais-tu pourquoi ? Je t’en parle. L’annonce de ta grosse a imposé un changement dans les habitudes de ta mère, ce changement je l’ai subi moi aussi.

Ta mère est sans emploi et mon maigre salaire de contremaitre ne me permet pas de prendre une servante. Du fait de la grossesse, elle ne pouvait plus rien faire. Alors, j’ai pris la relève de ses tâches domestiques en plus des miennes. Je fais désormais le ménage. Je prépare le petit déjeuner le matin. Je m’assure que ta mère se porte bien et qu’elle n’a pas besoin d’autre chose. Tout ça avant de courir à la zone industrielle transporter des sacs de ciments pour charger un camion de 30 tonnes pour avoir de quoi faire face aux dépenses de la maison, aux caprices de ta mère aussi. Les caprices, elle en a beaucoup.

Elle veut un pot de Yogourt, je cours l’acheter, juste le temps de mon retour elle change et veut plutôt une bouteille de sucrerie, je cours l’acheter. A peine l’ouvre-t-elle qu’elle trouve que le Coca Zéro d’aujourd’hui, qu’elle-même a demandé, n’a plus le même goût que celui d’hier. Mon fils, depuis quand le goût du Coca a-t-il changé ? Partout dans le monde, c’est le même goût ! Je cours acheter du Coca light, quand je reviens, elle lui préfère une bonne bouteille de Fanta cocktail bien glacée… Tout ça ne vaut rien devant son désir de manger un morceau de Pizza bien chaud à 1h du matin. Fiston, j’ai appris à faire beaucoup de choses, mais je ne suis pas pâtissier ! Où trouver ça, à cette heure !? Quand j’essaie de lui expliquer que c’était impossible à cette heure, c’est une foudre qui s’abat sur moi. Je subis tout au nom de mon titre d’homme qui veut que je sois fort. Sais-tu quoi ? La dernière fois, il était  3h45 du matin quand ta mère m’a dit qu’elle voulait que je lui prépare un plat de couscous. Nom de Dieu ! Trainant le poids de la fatigue de la veille après avoir subi les humeurs et lubies d’un supérieur hiérarchique débile, suffisant et plein de morgue, et pensant à ce qui m’attendait le lendemain, j’ai glissé dans la cuisine. Dieu seul sait combien de fois ça été dure pour moi ! Préparer du couscous à 3h du matin, somnolant !? J’ai essayé, cependant, et le sourire aux lèvres pour avoir réussi 1h55 min après à sortir quelque chose, le meilleur plat de ma vie, je lui ai tendu l’assiette. Mais sais-tu quoi ? Au lieu d’un «merci», c’est à une pluie d’injures que j’ai eu droit pour avoir trop tardé, pour avoir mis trop de piment, trop de sel, trop d’huile, en un mot pour lui avoir proposé un plat que même un prisonnier qui avait des toiles d’araignée dans la bouche n’aurait pas accepté de manger. J’ai baissé la tête pour me contenir. J’ai souri et j’ai résisté à la colère, au nom de mon titre d’homme qui voudrait que je sois fort. Ça a continué et ça continue ainsi… Mais je me rassure à l’idée que tu naîtras un jour et que tu me feras oublier tout ces moments.

On a célébré les mères pour leur reconnaitre tout ce qu’elles endurent au cours de ces mois. J’étais là, moi aussi, à cette occasion de célébration. J’ai offert un bouquet de fleur et plusieurs présents à ta mère. Mais sais-tu quoi ? Personne ne se souviendra de la fête des pères. Au mieux, très peu en parleront. Ils ne l’évoqueront que le temps d’une pause café ou en attendant l’arrivée du Bus. Aucun père ne recevra un bouquet de fleur de sa femme, de son fils ou sa fille. En un mot, tout ce que j’ai enduré, toute cette souffrance psychologique et même physique que j’ai enduré et qui continue depuis l’annonce de ta grossesse sera passée sous silence.

Mon fils,

Demain tu naitras. Tu feras ma fierté, celle de ta mère aussi. Je parle de celle qui t’auras porté dans ses entrailles pendant de si longs et pénibles mois, au prix inestimable de plusieurs sacrifices. A ta naissance, elle te couvrira, t’essuiera, te fera à manger. Elle sera là, quand je serai parti chercher le pain quotidien. Peut-être qu’elle ira, elle aussi, lourde de fatigue d’une mère, chercher de quoi subvenir à ses besoins. Elle te donnera ce qu’elle a de plus cher, son amour, son cœur. Prends-en soin en retour. Ne lui fait pas mal. Donne-lui toute l’affection qu’elle mérite. Souviens-toi du jour de ta naissance où elle aurait pu perdre sa vie en te donnant la sienne pour l’honorer. Couvre-la de présents autant que tu en auras les moyens comme tu en feras pour ton épouse. C’est d’ailleurs elle ta première épouse. Elle sait mieux que toi la femme qu’il te faut parce qu’elle sait mieux que toi le type d’homme que tu es. Écoute-la donc dans ton choix de la femme qui partagera ta vie. Si elle t’aime vraiment, elle ne se trompera jamais dans ses conseils. Et je peux t’assurer que ta mère t’aime ! Aime-la en retour. Protège-la. Défend-là jusqu’à ton dernier souffle.

Et quand tu l’auras mise à l’abri de tout, souviens-toi de moi, ton père. Souviens-toi de mes nuits sans sommeils. Souviens-toi de mes corvées pour que ta mère et toi soyez à l’abri du besoin, pour que vous viviez dignement. Souviens-toi des fois où je suis rentré à la maison anéantis par les mépris de mes collègues et de mon patron ainsi que le poids de la fatigue. Souviens-toi des peines que je ressens et dont je n’ose parler à personne dans une société où l’homme est le bourreau.

Mon Fils,

Quand tu naitras, je ne te demande rien de grand, rien de trop. Pas même ton argent, ni quoi d’autre que ce soit qui te couterait si cher. Mais, si je vis, je te demande qu’une seule chose. Soit un modèle en tout ! Que ton comportement fasse parler de moi. Que ton intelligence et ta sagesse te distinguent. Sois un homme, sans être un bourreau.

Si je ne suis plus là et qu’un jour tu venais à en avoir les moyens, construit ma tombe et écris-y ce message : « Ci-gît mon père, un homme qui a survécu avec ses joies et ses peines au sein d’une société qui a voulu qu’il soit le bourreau face à la victime et qu’il a su refuser d’être −un MODELE ! »

 Ton Père.

Bonne Fête des Pères à tous les Papa du Monde !

Ps:Toute ressemblance n’est que pure coincidence.


Mali : A un moment donné, il va falloir que ça prenne fin !

En Juillet 2013, je m’interrogeais sur l’opportunité d’organiser des élections dans le contexte d’alors du Mali. Les partisans du “oui, il le faut” m’ont sans doute pris pour quelqu’un qui ignorait tout du jeu démocratique. De démocratie parlions-nous ? Peut-être… mais d’une démocratie frelatée qu’on a servi aux maliens et qu’ils parviennent toujours difficilement à digérer. On a fait croire aux maliens et aux amis du mali au mythe de la panacée que représentent les élections présidentielles aux problèmes des pays africains. Les élections, il le faut pour entamer ou consolider la démocratie. Toutefois, il est primordial de s’assurer que les conditions de leurs tenues s’y prêtent. Cela pour garantir leurs crédibilités, leurs transparences et réduire les violences qui en découlent dont la gestion devient par la suite plus couteuse que le processus électoral lui-même. L’exemple de la Côte d’Ivoire en 2010 parle de soit, tout comme il faut vraiment croire à ce mythe pour encourager la tenue d’élections dans le contexte actuel du Burundi.

Il y a donc le contexte, et, en ce moment là, celui du Mali ne s’y prêtait pas, même si l’intention derrière –qui était de mettre en place un pouvoir “légitime” voire “démocratique” avec lequel composer −était bonne. Tous ou presque le savaient. Sauf que la puissance colonisatrice à qui le pays doit son existence actuelle le voulait autrement. Et, puisque c’est elle qui finançait, il n’y avait pas matière à opposition. Les maliens ont ainsi été convoqués aux urnes. Ils y sont allés, mais pas tous. Or, le problème du Mali est un ensemble de plusieurs parties difficiles à dissocier. La corruption, la gabegie et le favoritisme, entre autres, déplorés par les maliens au niveau des institutions de l’Etat ont entrainé le pourrissement du système. Celui-ci s’est traduit par la fragilisation de l’économie nationale, l’enrichissement des plus riches, l’appauvrissement des plus faibles, la précarité des conditions de vie des populations et l’inégale répartition des richesses du pays. Cette dernière a fait naître un sentiment de rejet chez une partie de la population, notamment celle du Nord du Pays.

On le sait, lorsque l’on vit avec moins d’un dollar par jour, les codes moraux s’infléchissent forcement et un boulevard s’ouvre sur les actes incontrôlés des intéressés. Ce sentiment de rejet, justifié ou non et la pauvreté de plus en plus difficile à supporter ont prédisposé les esprits au mal; puis lorsque s’est immiscés Al-Quaida et ses branches armées, le terrain de la religion a vite fait d’être exploité…

En ce moment là, les maliens avaient certes besoin d’aide extérieure, mais pour les aider à se débarrasser des parasites qui réduisaient leurs libertés, violaient leurs droits même les plus fondamentaux dont celui à la vie. Il fallait mettre fin sans conditions aux pires formes de crimes contre l’humanité perpétrés contre un peuple déjà éprouvé par la misère. Il fallait en un mot pacifier le pays; ranger les armes; maintenir la sécurité des personnes et des biens. C’est ce dont le Mali avait besoin et qui justifie que François Hollande ait été ovationné à son arrivée.

Cependant, on ne va pas à un bal de démocratie les armes à la main. Il aurait fallu obtenir par la force ou par le dialogue, le dépôt des armes par ceux qui n’en avaient pas le droit. Malheureusement, pour des raisons jusqu’ici ignorées par les observateurs moins avertis comme moi, mais connues d’une partie des maliens qui aujourd’hui critique le sauveur d’hier, tous ont fermé les yeux. Le problème a juste été déplacé et, au nom de la démocratie qui veut qu’il y ait des élections, les maliens sont allés voter, à pas de caméléon, l’arme pointée au cul.

Aujourd’hui, les avis sont mitigés sur le bilan d’un Ibrahim Boubacar Kéita qui, visiblement, ne semble pas s’être rendu compte de l’ampleur de la tâche qui l’attendait et qui fait au moins l’unanimité sur son tâtonnement dans la gestion du pays. Les plus tolérants lui trouvent une circonstance atténuante en évoquant –à juste titre− l’impasse dans lequel il est plongé dans la gestion de la crise avec des négociations qui durent et perdurent face à des individus qui narguent le peuple malien. Ses détracteurs, eux, parlent d’échec non sans évoquer ‘son style de vie extravagant’ à la tête d’un pays presqu’embourbé économiquement.

Peu importe ce qu’on lui reproche, le problème n’est pas IBK en soit, mais ce qui l’a conduit là où il se trouve en ce moment, c’est-à-dire les élections. Il ne suffit pas d’organiser des élections pour être démocratique, pour espérer la solution à tout. Sur ce point, je rejoins le Prof. Issa N’dia. La Démocratie est bien plus sérieuse que çà. Les élections en elles seules ne suffisent pas. Il en faut plus, et une partie de ce ‘plus’ découle de ce qui précède les élections et qui détermine la suite. « Comme on trébuche, comme on tombe », rappelle le dicton. En tenant compte du temps qu’il perd à tenir ce dialogue de sourd depuis son élection, on se demande ce qui peut bien lui en rester pour se consacrer à l’essentiel, à l’amélioration du quotidien des maliens.

Ils ont tué le serpent. Ils ont omis de lui trancher la tête. Il se retourne contre eux −fatalement. En plus du Nord, les crimes sont désormais commis en plein cœur de Bamako. Les signaux sécuritaires du pays sont loin du vert. La menace sécuritaire nationale est alarmante, quoiqu’on joue la carte du « tout-va-bien-ici». Il ne s’agit pas de prédire l’apocalypse, mais d’attirer l’attention de ceux qui ont pouvoir d’actions au-delà des mots, sur la nécessité d’intervenir à titre préventif au Mali.

Je ne vis pas au Mali, je ne suis pas malien encore moins spécialiste du Mali, mais, mes amitiés dans ce pays ainsi que mon estime pour son peuple justifient mon attachement qui me pousse à suivre son actualité telle qu’elle évolue comme je le fais, du reste, pour d’autres pays africains. Ce que j’écris ici peut donc avoir des limites, je l’admets, mais l’évidence, sauf si on veut la voir les yeux bandés, est que la promesse des élections faite à grand bruit hier trahit à quelques exceptions prêts, la réalité d’aujourd’hui; C’est que les Maliens ne vivent pas mieux aujourd’hui qu’ils ne l’étaient hier; C’est que la sécurité nationale n’est pas moins menacée aujourd’hui qu’elle ne l’était hier. Pour la énième fois, on tend vers un accord entre le gouvernement et certains groupes rebelles; C’est bien. Mais, encore faut-il qu’une fois signé, cet accord soit respecté…

Ce que je dis donc, c’est qu’il y a longtemps que durent la tergiversation et l’incohérence, la complaisance et l’hésitation, l’hypocrisie et la légèreté dans la gestion de la crise malienne. Et, plus ça dure, plus le Mali s’enfonce dans son marasme économique actuel; plus les maliens s’éloignent de leurs rêves d’une vie meilleure chez eux, au mali. Par conséquent, plus ils aspireront au meilleur ailleurs; plus ils se lanceront nombreux sur le sentier de leurs «rêves maudits»; plus ils embarqueront aussi nombreux pour l’Europe en quête d’une illusion perdue; plus il y aura d’autres Lampedusa. Ça fait des années que ça dure, tout ça ! Mais, à un moment donné, il va falloir que ça prenne fin !

Il va falloir non seulement que la fameuse communauté internationale joue franc jeu dans la gestion de la crise au Mali et qu’avec son appui ainsi que celui des amis du Mali et de tous les maliens vivant au Mali et à l’étranger, soit trouvée une solution rapide et durable à cette crise devenue pour certains, un canal d’expression de leur mépris pour le peuple, pour d’autres, un fond de commerce et, pour d’autres encore, un moyen pour se façonner une respectabilité en lambeaux aussi bien ici que là-bas.


Sankara, es-tu là ?

Jamais aucune absence n’aura été si présente dans l’histoire d’un peuple que celle de Noël Isidore Thomas Sankara au Burkina Faso. Pour avoir vécu un peu dans ce pays, je me suis rendu compte du mal que le régime Compaoré s’est donné pour faire oublier Sankara ; mais le problème avec la révolution, c’est qu’elle se forge autour d’un idéal partagé dont chaque partisan porte en soi une bride qui fait qu’elle a tout d’un serpent à plusieurs têtes. Coupez-en une, il vous mordra avec l’autre. On a tué un seul Sankara; on en a généré plusieurs. On parle aujourd’hui des « Sankaristes », devenus des concurrents sérieux à la course au trône du palais de Kosyam. On le sait, en pareilles circonstances, les opportunistes ne manquent pas, mais tant que ce qui est mis en évidence reste la mémoire du martyr qu’on veuille honorer, tout est bon pour y aller. Difficile de distinguer les vrais des faux sankaristes. Tous y vont, chacun avec ses moyens à la main pour affronter ceux qui s’y opposent, ses arguments dans le parlé pour s’attirer le maximum de foule et surtout ses intérêts en bandoulière, savamment conservés, pour les exhiber le jour venu.

Sankaristes, combien sommes-nous ? Comptez-en mille et retranchez-en mille. Vous avez le nombre. On y va ! « La patrie ou la mort, nous vaincrons !» −peut-être pas, mais allons-y ! Sans trop savoir où. On y va quand même! Tant que c’est pour honorer la mémoire de Sankara. C’est pour honorer cette mémoire que la famille a déposé une plainte pour assassinat en 1997; plainte qui, comme il fallait s’y attendre, a été rejetée. C’est pour honorer cette même mémoire que la plainte, question d’atténuer sa forme, a changé de nom en passant d’assassinat en 1997 à séquestration en 2002 avant de se muer en une demande d’identification accordée en 2015! Pas pour faire mal à qui que ce soit, mais pour connaître, rien de plus que ça, l’identité de celui qui, nous a-t-on dit, reposerait dans une tombe taillée sur mesure au cimetière de Dagnoen à Ouagadougou.

Ils ont juste voulu faire parler Sankara, sans plus, parce qu’ils le savaient capable de crier toujours plus fort −même mort. Un révolutionnaire ne meurt jamais. Sankara n’est pas mort ! Surtout pas en Afrique où les morts ne sont pas morts −à part ceux qui sont morts d’Ebola. On leur a demandé, quelle question avez-vous à lui poser? Ils ont répondu ensemble: Sankara, es-tu là ? Au moment de répondre, on lui a tapé là-dessus. On a refait le béton de sa tombe. On l’a muselé. C’est fini. Le juge s’est mis dans sa robe des jours de fête, et, dans la peau et avec la voix de Sankara, a répondu sur la place publique le regard dans le vide: “Oui, j’y suis!” Puis il a invité les agitateurs à retourner cultiver leurs champs de patates pour apaiser leur faim de VÉRITÉ. La tête baissée comme des cocus déboutés, les agitateurs sont repartis et se sont mis à la tâche, sans relâche, chacun avec ses moyens. Le temps, lui, a continué son vol. Puis, un matin, est arrivé le moment de déguster les patates. Les agitateurs l’ont servi aux gens d’en face, mais à chaud et avec beaucoup de piments. Ceux-là n’ont pas pu résister à son effet sur eux et ont fini par abdiquer. Le chef est sorti par la fenêtre sans ses restes. Ses amis l’ont suivi plus tard, certains en culottes, d’autres avec un seul pied de chaussure.

Aujourd’hui, les agitateurs d’hier, disons certains, sont aux commandes, leurs plats de patates bien garnis à la main, prêts à se servir pour satisfaire leur faim si têtue de vérité. Pour cela, le lundi 25 mai dernier, ils se sont rendus au cimetière, ont sorti « le Che Africain » de sa tombe, enlevé la poussière sur lui et lui ont reposé la question : Sankara, es-tu là ?

Aujourd’hui, pendant que les opportunistes s’affairent au calcul hypocrite et égoïste de leurs intérêts, il se mijote dans les têtes décoiffées des maîtres d’hier, comme dans des marmites de sabbat, une ribambelle de questions sur ce qu’il en sera de leur sort quand Sankara aura parlé. Lui Sankara, de son côté, semble déterminé à parler cette fois-ci. Mais, pour dire quoi ? Dans quelle langue ? Aucun marabout Sénégalais n’est assez fort pour le prédire, mais il parlera. De toutes les façons, la question implique deux réponses: soit «OUI» ou «NON».

De loin, toute naïveté imbue, je m’interroge : « S’il venait à répondre “Oui”, qu’adviendrait-il ?  Et s’il répondait “Non”, que feraient les agitateurs ? » Ne vous fatiguez pas à y répondre. Je pensais juste à haute voix. Cela m’arrive souvent, surtout quand je parle de Démocratie, de Liberté ou de Justice en Afrique −chez moi, chez vous aussi.


Agathe, une vie de femme…

« Il n’y a pas de sot métier » dit l’adage populaire, pourvu que l’intéressé s’y investisse et que cela lui permette de gagner dignement sa vie. Cette conception, Agathe semble l’avoir faite sienne. Ses cheveux régulièrement couverts de mèches, sa taille fine, son teint clair, son air toujours jovial confèrent à Agathe des traits particuliers de jeunesse qui contrastent avec ceux d’une femme de son âge.

La trentaine révolue, Agathe est mère d’une fille de 12 ans qu’elle a eue avec Nicolas avec qui elle vit en concubinage depuis plus d’une quinzaine d’années. Si les difficultés financières n’ont pas permis à Agathe de poursuivre ses études qu’elle a arrêtées au cours moyen première année (CM1), elle ne fait pas de l’absence de diplôme un handicap, car Agathe considère qu’on peut mener une vie à l’abri des besoins financiers et matériels sans être sortie d’une grande école de commerce. Il suffit de croire en soi et en ses capacités intrinsèques et de voir en chaque situation une opportunité. Il suffit surtout, en plus de l’imagination, d’avoir de la motivation et du sens de l’initiative pour entreprendre. Ces caractéristiques, Agathe en a fait preuve et pour gagner sa vie, elle a choisi un métier : gérante de cabine téléphonique, une activité qui s’est développée autour des années 98-2000 à la faveur de l’avènement des réseaux mobiles en Côte d’Ivoire. Entre mille mots, celui qui décriait le mieux cette jeune femme ivoirienne, originaire du centre de la Côte d’Ivoire, c’est le courage. Du courage, voici ce qu’il a fallu à Agathe, une femme, pour se lancer dans une activité généralement pratiquée par les jeunes hommes diplômés sans emploi des universités et grandes écoles du pays.

Lorsque vous lui posez la question de savoir depuis quand elle mène cette activité, c’est sur un ton plutôt fier qu’Agathe vous répond: « J’ai commencé depuis que ma fille était au CP1. Aujourd’hui, elle est en classe de 3ème », soit environ 10 ans. « J’ai commencé d’abord par faire des appels » −il s’agissait d’offrir à ceux qui ne disposaient pas de téléphones la possibilité d’effectuer leurs appels moyennant une facturation à la minute−, « puis j’ai continué avec la vente des cartes de recharges téléphoniques. J’allais déposer une caution à l’agence de la compagnie téléphonique qui me donnait des recharges que je revendais. Ensuite quand les cartes de recharges ont été remplacées par les transferts d’unités −comme c’est le cas maintenant− je m’y suis orientée en traitant cette fois-ci avec des intermédiaires pour économiser le temps qu’il me fallait pour me rendre à l’agence.»

Voici donc dix ans qu’Agathe exerce, dans l’informel, dans le domaine de la téléphonie mobile, une activité qu’elle a menée dans différentes communes d’Abidjan. « J’ai commencé à Koumassi, puis je suis venue à Adjamé-Agban et aujourd’hui à Yopougon-Selmer » raconte-t-elle. Mais au juste que gagne Agathe ? A cette question elle répond : « Dans les débuts où la cabine n’était pas aussi répandue que maintenant, je réalisais des bénéfices mensuels allant de 300 à 400 mille francs fcfa Aujourd’hui cela à beaucoup baissé. Je suis abonnée à quatre réseaux téléphoniques mobiles. Pour le transfert d’un montant quotidien de 20.000F, mon bénéfice est de 800 fcfa par réseau soit un total de 3200 fcfa pour les quatre réseaux. Pour les appels, par mois, je réalise un bénéfice de 2500 fcfa par réseau soit 10.000 F pour les quatre réseaux ; tout ceci me revient mathématiquement à (3200*30) + (2500*4) =106.000 fcfa comme gain mensuel d’Agathe qui travaille de 7h30 à 22h par jour 7/7 excepté les dimanches matins pour se rendre à la prière. Agathe est pratiquante de bouddhisme. Elle revient à 10h, se repose jusqu’à 13h et reprend le travail à 14h.

Cet emploi du temps quotidien chargé n’empêche pas Agathe de faire la cuisine pour sa famille. Pour y parvenir, un arrangement a été trouvé par le couple. Nicolas, manœuvre à l’Aéroport International Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan revient du travail, souvent à 11h pour permettre à Agathe de faire la cuisine. Celle-ci consiste en une sauce de 2 à 3 jours. Une fois la cuisine terminée, Agathe se sert et retourne remplacer Nicolas qui à son tour vient manger sa part et retourne travailler. La même approche est répétée le soir à 17h, « ou alors Nicolas lui-même se charge de faire cuire le riz ». A 20h, quand Nicolas ne rend pas visite à des amis, ne se repose pas, il rejoint Agathe à la cabine et à 22h il se charge de ranger le banc et la pancarte qu’il installe le lendemain matin avant d’aller à l’Aéroport.

Agathe et Nicolas vivent ainsi depuis des années et ne s’en plaignent pas. Autonomes, ils parviennent à payer leur loyer, la scolarité de leur fille et à faire face à d’autres charges sociales.

Agathe raconte la plus grande fierté depuis qu’elle exerce cette activité en ces termes : « Ma cabine m’a permis de payer les cours de ma fille dans une école privée. Je paye aussi pour elle un maître de maison, en plus des cours de renforcement. Aujourd’hui, elle est au collège et cela me réjouit. J’ai surtout, grâce à mes économies, payé à hauteur de 500.000fcfa une partie de ce qu’il était demandé à mon frère aîné pour être admis au concours d’entrée à l’école de gendarmerie. Aujourd’hui il est en fonction au camp de gendarmerie d’Agban ». Quant à l’origine de son fonds de commerce, Agathe déclare « n’avoir reçu le soutien de personne »«J’ai d’abord aidé ma mère à vendre la nourriture au port d’Abidjan pour les ouvriers puis j’ai travaillé comme servante chez une femme où je percevais 25.000Fcfa par mois pendant que ma fille avait trois ans. J’ai décidé, trois ans après, de tout arrêter pour commencer mes propres activités et m’occuper de ma fille de six ans qui devait commencer l’école. Grâce à mes économies j’ai ouvert une première cabine qui m’a couté 150.000Fcfa, puis une deuxième », ajoute-t-elle.

Aujourd’hui où j’écris ce billet, Agathe porte une seconde grossesse de plusieurs mois et souffre de colopathie, mais cela n’a rien enlevé à son courage et à son enthousiasme. Elle a plutôt des projets qu’elle formule en ces termes : « Ma maladie m’a fait dépenser trop d’argent, mais je souhaite ouvrir plus tard un point de transfert d’argent –Mobile Money− ou un magasin de vente de pagnes… »

Entre l’option d’une vie de femmes qui livrent leurs corps au premier venu bradant ainsi leur dignité, leur honneur en échange de quelques billets de banque et celle d’une femme digne, déterminée et surtout qui sait que « ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent », Agathe a choisi d’être des dernières.

En ce jour de la fête des Mères, je pense à ma mère, mais à Agathe surtout, cette femme modèle qu’il me plaît d’honorer en partageant un peu de sa vie, de son courage exemplaire surtout.

Aujourd’hui, Agathe vit modestement sa vie sans envie. En dépit des caprices de la vie, de sa vie de femme, elle sourit, elle plaisante, elle est généreuse, elle est heureuse.

 

Bonne fête des Mères à Agathe !

Bonne fête des Mères à toutes mes lectrices !

Chaque femme est une étoile… !