
Dans le vol qui m’amenait d’Atlanta à New York, à travers les hublots, je prenais les photos des gratte-ciel, l’air stupéfait. Mon voisin américain, un célèbre photographe, un type super sympa qui lisait sur mon visage ne s’est pas fait prier pour me demander si c’était la première fois que j’allais aux Etats-Unis. Je lui ai répondu, évidemment, OUI. Au-delà du fait que c’ était ma première fois, ce voyage revêtait un caractère assez particulier pour moi.
D’abord, c’est comme si je passais « de l’obscurité à la lumière », expression utilisée par un ami pour traduire l’écart entre les pays du Nord et ceux du Sud.
Ensuite, j’allais manger un McDo, boire un bon verre de Cognac ou de Coca Diet en remplacement de mon Attiéké avec ‘pied de porc’ accompagné d’eau de robinet ″impropre à la consommation″ dans certaines ambassades de pays occidentaux en Côte d’Ivoire.
J’allais pouvoir dormir et me réveiller dans une cour où la voisine ne vient pas frapper à coup de poing à la porte à 20 heures pour emprunter votre pilon pour son foutou ; où les voisines ne viennent pas remplir le salon pour suivre le feuilleton ‘Sacrifice de femme’.
J’allais pouvoir voir autour de moi des femmes à la peau blanche naturelle, unicolore et non tricolore comme celle des serveuses des bars de ‘ma’ Rue des Princes.
J’allais savourer le plaisir d’un habitant d’une commune où le maire sait que sa tâche régalienne est de protéger ses habitants contre toute forme de nuisance y compris sonore.
J’allais pouvoir dormir avec le courant en continu jusqu’au matin sans entendre le président à la télé me dire ″je vous annonce la fin du déles… ″, qu’il n’ait terminé sa phrase que le courant se coupe.
C’est tout cela qui me donnait l’air si stupéfait au-delà d’avoir été désigné meilleur jeune leader africain par l’ONU et de bénéficier d’une formation tous frais payés à son siège, et non pas forcément l’idée de voir l’Amérique. L’Amérique, j’ai étudié son histoire à l’université, suivi ses films d’Hollywood à la télé, et écouté ses leaders. Je sais qu’elle n’est pas si différente même vue de près…
Je m’en allais donc aux Etats-Unis et à mesure que l’écran affichait le nombre de kilomètres qu’avait avalés l’avion et ce qui en restait, cette stupéfaction s’amplifiait.
Mais… pendant que je brûlais d’envie de voir ce Boeing de la compagnie Air France poser sur le tarmac de la Guardia International Airport de New York après 2 h 45 de vol, là où nous avions été informés qu’on passerait 2 h 15, je pensais à ma réponse à la seule question que tous, parents, amis, connaissances ou simples voisins de quartiers me poseraient dès mon retour au pays : Emile, tu nous as envoyé quoi des Etats-Unis ?
Cette question, je savais que tous allaient me la poser, à commencer par ceux à qui j’ai eu la stupide idée de dire au revoir avant mon départ. Mon ami Vetcho ne fera pas exception, lui qui a tout d’un policier ivoirien. Le policier ivoirien, quand tu lui rends visite, à ton arrivée chez lui il te demande « tu m’as envoyé quoi ? ». Si c’est lui par contre il te rend visite, à son arrivée chez toi il te demande « tu m’as gardé quoi ? ». Dans tous les cas, c’est toi qui donnes.
Ceux passés maîtres dans cette forme de question à qui je n’avais rien dit avant mon départ, pour les éviter, une fois de retour me traiteront de tous les noms : ″Emile, tu es un petit, tu es bien hein, mais tu es mauvais. Comment as-tu effectué un voyage aux States sans me dire au revoir ?″ ; ″Emile, parfois tu joues les salauds, alors que tu ne l’es pas. Qu’est-ce qui t’a pris d’aller chez Obama sans me dire au revoir ?″ ; ″Emile, tu pouvais ne rien dire à tout le monde, je te comprendrais. Les gens sont de plus en plus jaloux. Faut s’en méfier. Mais pas à moi. Pourquoi, c’est par les gens que j’apprends que tu es allé ‘derrière l’eau’ ?!″, ainsi de suite… avant de terminer tous de la même manière, «… je te pardonne pour la première fois. Ce n’est pas grave. Ne répète plus ça hein ! Mais…au fait, Emile, tu m’as envoyé quoi ? »
Vous pensez qu’ils plaisantent, vous souriez en guise de réponse. Ils vous reposent la même question l’air un peu plus sérieux. Vous accentuez votre sourire. Tant pis pour vous si vous n’avez pas un sourire qui charme. Et quand ils s’aperçoivent que vous ne leur avez rien envoyé, à défaut de vous traiter de ″mauvais type″, ils vous jettent à la figure, ″tu n’as pas honte, comment tu peux aller aux Etats-Unis et revenir même pas avec un petit bonbon pour moi ?″ Nom de Dieu ! Si c’est un bonbon que tu veux, demande-moi que je t’en achète à la boutique d’à côté ! Est-ce qu’on peut en vouloir à quelqu’un pour ça !? Et puis, de vous à moi, qu’y a-t-il de honteux à ne pas acheter des bonbons ou d’autres cadeaux à des gens qui, au demeurant, ne vous sont pas forcément proches au retour d’un voyage ?
On peut encore comprendre tout ceci quand les personnes qui vous demandent les cadeaux sont vos voisins, vos collègues de travail ou vos frères de l’église. Disons, des gens que vous rencontrez régulièrement. Mais quand vous êtes en Côte d’Ivoire, vous revenez des Etats-Unis et que votre ami qui est au Burkina, au Togo ou au Mali, à plusieurs centaines de kilomètres vous demande « tu m’as envoyé quoi ? », vous comprenez tout le drame !
Même Mélissa, ma Méli que je courtise depuis des années, qui accepte mon poisson, mais pas mes avances, qui aime mon argent, mais pas mon visage, qui m’oblige à investir en elle sans retour sur investissement, même Méli qui m’a toujours trouvé trop noir, trop mince pour être son époux, ce qui serait une malédiction du ciel pour elle, n’a pas fait l’exception. J’ai cru me retrouver dans un rêve quand Méli m’a sorti la question sous sa forme féminine : « Mon petit cœur, tu es allé aux States, j’espère que tu es revenu avec un plan pour moi hein! ». Quoi, moi petit cœur ?!
C’est seulement en ce moment que j’ai compris vraiment pourquoi certains Africains sont prêts à sacrifier même leur propre vie rien que pour aller en Europe ou aux Etats-Unis… pour ne pas dire ″derrière l’eau″.
Seulement pour ce qui me concerne, la prochaine fois, personne ne saura que je voyage, même pas ma valise parce que je ne vais même pas l’essuyer. Dès que je la sors, direction l’aéroport ! Tant pis si elle est poussiéreuse. Ça m’évitera au moins des ennuis. S’il vous plaît, voici ma réponse : Je ne vous ai rien envoyé… !
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