
L’idée d’écrire ce billet m’est venue en prélude à la journée mondiale du Bonheur ou « Happiness day » pour expliquer aux nuls ce en quoi consiste cette journée parmi cet embouteillage de journées mondiales célébrées par an. Mais occupé que j’étais à préparer une autre journée non moins importante dite de procrastination, célébrée le 25 mars, je n’ai pu l’achever à temps, j’ai donc procrastiné. Je commence donc par vous expliquer terre-à-terre ce que la seconde veut dire avant de retourner sur la première. « Procrastination » vient du verbe « procrastiner », qui peut vouloir dire « castiner en pro » mais ici, signifie « reporter, remettre à plus tard ». Défini ainsi, pour les nuls, procrastiner voudrait simplement dire : Ta mère est malade et doit être transférée d’urgence à l’hôpital ? Demain! Un rapport à rendre ? Demain! Lors d’une dispute ton adversaire te gifle tu veux répliquer ? Ça peut attendre demain ! Un entretien d’embauche à 8 heures, ça peux attendre à 10 heures.
La journée mondiale du Bonheur, elle, se définit simplement : c’est le jour où tous les êtres humains doivent se réjouir de leur sort. Le pauvre devrait être fier de sa pauvreté, l’aveugle de sa cécité, le cocu d’avoir été cocufié. Ce jour, il est demandé à l’affamé de jubiler pour sa faim, à l’épouse cocufiée de laver les pieds de la maîtresse de son époux. En principe ce jour, Bassar El-Assad n’avait pas le droit de pilonner son peuple, Vladimir Poutine d’arrimer la Crimée “par la force” à la Russie, Boko Haram de faire exploser les têtes innocentes des chrétiens réunis dans une église au nord du Nigeria. Ça aurait été ce jour, le Vol MH 370 n’aurait pas disparu du ciel malaisien, Ben Laden aurait déjeuné à la Maison Blanche. Tout ça parce que tout ce qui vit et respire ce jour est heureux.
Mais démontrant cette même hypocrisie qui les anime le 1er janvier de l’année, les hommes ont été heureux le 20 mars sans savoir pourquoi, ni même comment en attendant de l’être encore l’an prochain. Le but de cette journée, m’a-t-on dit, est d’«envisager d’adopter la croissance économique dans une optique plus large, plus équitable et plus équilibrée, qui favorise le développement durable, l’élimination de la pauvreté, ainsi que le bonheur et le bien-être de tous les peuples». Cela veut simplement dire faire en sorte que tous vivent mieux. Mais puisqu’il s’agit d’«envisager d’adopter» et non «adopter», ils ont envisagé en 2013 que nous vivrons tous mieux en 2014, sans y parvenir. Personne ne leur en voudra puisqu’«envisager» c’est émettre un vœu. Or, le vœu peut se réaliser comme ne pas l’être. Ils ont ainsi été heureux sans nous. Ils ont porté leurs nouveaux habits des jours de fête, préparé leurs sempiternels discours de bonne volonté, gesticulé de la main. Ils ont rappelé la charte des Nations unies et le droit inaliénable à la vie et au bonheur dont jouit chaque être humain. Ils ont demandé aux Nord-Nigérians d’être heureux en comptant leurs morts, aux Sud-Soudanais d’être heureux le ventre creux, aux Centrafricains d’être heureux en se tailladant. Ils ont été heureux eux-mêmes sans doute de l’incohérence entre leurs discours et la réalité du terrain.
J’ai demandé à mon ami Grégoire ce qu’était pour lui la Journée mondiale du Bonheur. Il m’a répondu que c’était sans doute le jour où Dieu avait créé la femme puisque selon lui il n’y a que cet être dont la présence procure le vrai bonheur. Adam vivait seul dans son jardin, mais était si malheureux à la vue des animaux s’accoupler que Dieu décide d’envoyer Eve pour que son bonheur soit total. Eve, peut-être une fille moche incapable de susciter l’envie même chez un acteur de porno, n’aura pas mieux fait que d’empirer le malheur d’Adam. Nous payons tous aujourd’hui pour sa légèreté et pour la faiblesse d’Adam.
C’est autant dire que notre propre malheur réside dans ce que nous choisissons comme source de bonheur. Le peuple centrafricain subit les affres de la guerre du fait de son choix de ses dirigeants. Les Ivoiriens continueront de voir des malades mourir par manque de soin dans les hôpitaux quand leurs chefs iront faire contrôler leurs dents au Maroc ou faire soigner leur sciatique en France. Les Guinéens manqueront toujours d’électricité tant qu’ils mettront trois années à organiser une simple élection législative d’un jour pour des intérêts mesquins et égoïstes…
Cette année, la célébration de la journée mondiale du bonheur a eu pour parrain, l’artiste-chanteur, auteur-compositeur, entrepreneur, lauréat des Grammy Award, producteur, Pharell Williams qui a conquis le cœur des mélomanes à travers son titre « Happy » tiré de son album GIRL.
Les internautes du monde s’en sont approprié et ont créé le concept qui fait le buzz actuellement sur la toile, “Happy From”. Chaque pays est Happy malgré ses malheurs. Le Bénin est en ébullition, mais Happy. Le Burkina tangue, mais Happy. La classe politique ivoirienne est divisée, le coût de la vie grimpe, mais on y est Happy. Le but est de montrer qu’on est heureux où que l’on vit, peu importe comment l’on y vive et quel que soit ses malheurs. Tout ça, c’est bien, parce que le bonheur est relatif, parce que même en enfer aussi, on est heureux… qui sait?
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