
Les soleils des indépendances ont remarquablement stimulé la littérature Négro Africaine qui a vu sa production littéraire s’enrichir au fil des années de Chef d’œuvres dont les auteurs peuvent, au soir de leurs vies, s’en enorgueillir. Certains, les Afro pessimistes, ont étalé sur la place publique une image emprunte de fatalité d’une Afrique vouée à l’échec. D’autres par contre, mus par la vision Afro optimiste, ont d’abord mis en évidence les contradictions qui ralentissent les pas de l’africain sur la route du progrès –lesquelles sont caractérisées par les préjugés et les traditions− avant de reconnaître que celles-ci, contrairement à ce que les premiers croient, n’ont rien d’immuable et de figé. Car, comme la société elle-même, elles sont soumises au primat de l’inévitable loi de l’évolution.
C’est à cette dernière classe d’afro optimistes qu’appartient Sidiki Dembélé, cet ivoirien d’origine malienne qui aura servit dans l’administration Ivoirienne avant de regagner son Mali natal.
A travers son Roman «les Inutiles» qui a remporté le grand prix littéraire de la Côte d’Ivoire, Sidiki Dembelé, loin de présenter l’œuvre, expose les déboires de Kanga Koné, le personnage principal autour duquel toute l’intrigue de l’œuvre s’est nouée.
Kanga Koné, orphelin dès l’âge de 16 ans, n’échappa pas aux caprices de la vie. Cependant, celles-ci ne freineront point son élan vers une vie meilleure. Intellectuel et employé dans une maison de commerce, Kanga connaitra la joie du succès, laquelle fit toutefois très vite place aux malheurs du fonctionnaire africain : obligation, plutôt morale, de supporter les charges de toute une famille, un village ou une région. “Qu’étions-nous maris et fils d’Afrique, sinon des exploités dont le fruit du travail servait à encourager les défauts de ceux que nous aimions : ici l’orgueil et la vanité mal placés, là l’oisiveté, ailleurs le manque de sens de la mesure et du possible… P.40”,s’indigna Kanga Koné.
A mesure que s’amenuisaient les ressources de Kanga, son rêve de se marier devenait lointain jusqu’au jour où il rencontra Astou Diaby dont il tomba follement amoureux. Cet amour, il ne pourra jamais le concrétiser non par absence de volonté des deux partenaires dans les regards desquels scintillaient les flammes brulantes de l’amour, mais parce que lui, Kanga Koné, avait eu la malchance de naître d’une famille d’esclaves. L’union d’un Koné, fils d’esclave, avec une Diaby, fille de noble, était pour les parents de cette dernière la seule tradition africaine que ni l’école des Blancs, ni le modernisme n’avaient réussi à éliminer. La détermination de Koné à conquérir son amour s’opposa à l’intransigeance de Astou qui, ayant découvert cela seulement que plus tard, s’aperçut de l’écart entre ces deux mondes. Astou renonça à tout projet de mariage car ne se trouvant pas les qualités de “l’aigle pour s’élever au-dessus du problème″, ni n’était aussi “forte que le taureau pour bousculer la tradition”.
Pour Kanga Koné, “On ne peut à la fois sacrifier à l’immobilisme et au progrès, plaider pour la démocratie et se complaire dans le sectarisme, réclamer une entité égalitaire et souscrire au parcage d’une fraction de la communauté dans une infériorité que ne sanctionnent ni le mérite, ni la valeur.” P.59
Ainsi pris dans les mailles intenables et dégradantes des filets de la tradition et pour échapper aux pesanteurs sociologiques de son milieu, Koné n’aura plus d’autres choix que de s’évader pour la France “loin de (son) Afrique tâtonnante sur le chemin du progrès, ouvrant son ciel aux avions les plus rapides, macadamisant ses pistes ancestrales, élevant des buildings, construisant des barrages P.82”. Ce n’est que six années plutard qu’il s’aperçu que non moins que les autres africains qui se pavanaient dans les rues de la France, il était ″inutile”. Inutile tout aussi à la France à laquelle il n’apportait rien qu’à l’Afrique qu’il avait déserté.
Ceci le plongea dans un instant de réflexion par un ensemble d’interrogations: ″Qu’étais-je venu chercher en France ? (…) j’avais sous les yeux l’exemple du sacrifice quotidien de chaque être, la lutte acharnée de chaque homme pour la grandeur, la richesse et la beauté de son pays. (…) qu’avais-je donc fais, moi, pour mon pays ? je m’en étais éloigné comme d’une laideur et m’étais écœuré de ses imperfections, de ses défauts, de tout ce qui heurtait mes goûts et mes aises. (…) mon égoïsme se lamentait plutôt que de bâtir, se consumait en rancœurs plutôt qu’en énergie créatrice ou active. Et c’est moi qui prétendais jouer au censeur.” P.81
Quand il s’aperçut alors de l’erreur qu’il commettait, Kanga Koné prit le chemin du retour…
Espérons que biens d’autres jeunes partis à la recherche d’une vie meilleure lirons ce Chef d’œuvre et qu’à l’instar de Kanga Koné, ils comprendront que leur place est bien ici, en Afrique, où ils seront plus utiles qu’ils ne le sont en France, en Europe, en Amérique ou partout ailleurs dans l’hexagone.
Telle est la leçon dominante, le message majeur de ce roman de 123 pages paru en 1985 aux Nouvelles Éditions Africaines (NEA) et qui, à cet égard, reste incontestablement autobiographique. Une œuvre à lire absolument pour ne pas se rendre Inutile.
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