
Sounkalo Kone est un forgeron originaire du Nord de la Côte d’Ivoire. Ce métier, il le tient de son père, Seydou Kone qui l’a exercé pendant 35 ans avant de “se coucher” à jamais un jour de Mai 1984. Âgé de seulement 23 ans et benjamin de la famille, Sounkalo, héritier principal, devrait perpétuer l’œuvre de son géniteur au côté de qui il a apprit depuis l’âge de 5 ans à manier le Fer. Chaque jour, après la prière du matin à la grande Mosquée de Srosrobougou et ce jusqu’au coucher du soleil, Sounkalo devrait frapper le Fer chaud pour nourrir sa mère et ses deux coépouses. Il fut ainsi pendant des années. Sounkalo se maria à Ami Traoré âgée de 22 ans avec qui il eut 5 enfants en 7 ans. Jusqu’ici, il parvenait tant bien que mal à faire face à ses charges d’homme. Mais ceci ne fut pas pour longtemps car à mesure que passait le temps, la vie devenait difficile pour Sounkalo qui vivait avec sa famille dans une petite maison cruelle dont l’intransigeance affolait désormais ses fins du mois.
Alors qu’il avait 58 ans, Sounkalo décida de prendre une deuxième épouse pour, dit-il, aider la première à supporter les charges de la maison compte tenu de son âge trop avancée. Contre la volonté de Ami traoré, Sounkalo épousa, dans la stricte tradition musulmane, Namizata Kande âgée de 18 ans avec qui il eut en 8 ans de vie commune 6 autres enfants dont Maimouna Kone,la Cadette.
Mouna, de son petit nom, grandissait et comme ses autres sœurs, elle ne connue pas la joie que ressentaient les filles de Tante Marie, la voisine de cours, qu’elle voyait tous les soirs habillées dans leurs robes le sac au dos revenant de l’école avec cette chanson qu’elle aurait aimé savoir chanter :
Monnn pèèère m’a dit l’école c’est la vie!
Maaa mèèère m’a dit étudier c’est la vie!
C’est pourquoi jeee vaiiiis à l’école en chantant!
C’est pourquoi j’étudieee tous les soirs !
Deeemain je serai en vie! Deeemain je serai en libeer-tééé
Libèr…bèr…té! Pidaann daan dan!
Malheureusement, par la seule volonté de son père, animé par les coltis infranchissables du préjugé et de la sottise, Mouna ne connaîtra jamais cette joie. A 12 ans, Mouna se distinguait des autres enfants de la famille. Elle faisait les cinq prières du jour. Aux côtés de sa mère, elle apprenait toutes les tâches domestiques. La taille fine, la démarche calculée, la voix suave, le ton poli, Mouna pouvait tout faire sauf prononcer une injure. Tuer une mouche était aussi impossible pour Mouna que faire condamner celui qui aura tiré un coup de pistolet sur lui pour le Pape Jean Paul II. Courageuse, respectueuse, avare en parole et l’air candide, Mouna avait surtout un de ces sourires qui poussent de plus en plus les prêtres à réclamer le mariage. C’est d’ailleurs à ce sourire que succomba El Hadj Mamadou, l’Imam de la Mosquée de Srosrobougou du haut des ses 55 ans. Celui-ci ne se fit pas prier pour envoyer demander la main de Mouna à Sounkalo qui, sans hésiter, accepta.
Mais ce choix n’était pas de la volonté de la mère de Mouna qui trouvait sa fille trop jeune et surtout pour un homme qui avait 3 fois son âge. Elle décida d’en parler à Jean Luc, un ami de Sounkalo afin d’aider à l’en dissuader. Mais les tentatives de Jean Luc furent vaines. Chaque fois qu’ils abordaient le sujet, Sounkalo, assis dans son hamac le visage plus calme que la face d’une femme qui ment, brandissait le même argument : “L’école corrompt les mœurs. Si la société africaine aujourd’hui court à sa propre perte, c’est à cause du nombre de plus en plus important de femmes à l’école. Celles-ci ne se marient plus tôt et alors perdent les vraies valeurs du mariage sous le sot d’une émancipation perverse…″ .
Ni les larmes de sa mère, ni les tentatives de dissuasion de Jean Luc, ni les pleures même de Mouna à longueur de journée traduisant son refus, ni les interventions de certains visiteurs proches de la famille n’auront suffit pour amener Sounkalo à revenir sur sa décision.
Mouna avait maintenant 13 ans. Un Jeudi de Février 2012, alors que le soleil était au Zenith, je vis un cortège de véhicules bondés d’hommes et de femmes endimanchés scandant: “Vive la mariée..! Vive la Mariée…!” Curieux, je m’y rapprochai pour savoir celui qui venait ainsi de se «mettre la corde au cou».Je reconnu très vite le vieux Sounkalo, par son rire qui laissait entrevoir des dents jaunies par la fumé du Tabac et la Mère de Mouna, confuse, la tête entre les mains. Ma surprise fut totale de voir Mouna, l’air innocente, les yeux hagards et rouges, sans doute de rage, entourée d’un groupe de femmes dans la cour de la Mosquée. Pendant 15 minutes, je fus immobilisé animé d’un sentiment à la fois de dégout et de mépris surtout pour tous ceux qui ouillaient à côté de joie.
Vive la mariée … ! Oui, mais même quand elle n’a que 13 ans !? me suis-je demandé. Doucement, j’ai avalé ma colère et ai repris mon chemin de retour.
En ce jour où le monde entier célèbre la femme, je pense à Mouna. Et à travers elle, à toutes ces filles qui croulent sous les verrous d’un mari qu’elles n’auront pas choisi mais avec qui elles devront vivre le reste de leur vie ; A toutes ces filles réduites en machine à pondre des enfants; A toutes ces filles mineures qui sont mariées de force chaque minute en Côte d’Ivoire et partout ailleurs en Afrique, au Monde, sans voix, sans choix.
Les estimations internationales les plus récentes indiquent «qu’au niveau mondial, plus de 60 millions de femmes de 20 à 24 ans sont mariées avant l’âge de 18 ans», l’Afrique de l’Ouest en tête.
Le monde a bien évolué et cette pratique d’un siècle révolu devrait prendre fin. Car nous vivons aujourd’hui dans une société où chacun a le droit de faire entendre sa voix dans les décisions qui le concernent. Les actions concertées de l’OMS et des ONG de défense des droits de l’homme et de la femme pourront, un jour, nous conduire là, mais non sans l’implication de tous, chacun à son humble niveau. Car si chacun de nous s’informe, agit et persuade un proche d’agir aussi, nous serons deux fois plus nombreux à faire la différence…
Vive le 8 Mars !
Bonne Fête à toutes les Femmes!
A commencer par mes Lectrices !
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