Abidjan. Yopougon. Selmer. Rue des Princes. Voici le quartier où j’habite. L’un des quartiers de la mythique commune de Yopougon. « Yopougon la joie » ou encore « Yop » ou simplement « Poy » pour les habitués, pour faire classe. La commune et le quartier où tout Abidjan se donne rendez-vous les occasions de fêtes, notamment les hommes de nuit et les «professionnels du sexe». Non, cette appellation est réservée aux prostituées de Marcory Zone 4C, parce que là-bas, elles sont de luxe. Celles-là sont réservées aux «grands types» du pays. Elles coûtent trop chères et en plus il y existe une variété –de qualité. Gabonaises, Nigérianes, Marocaines, Françaises, Libanaises etc se disputent avec les Ivoiriennes. Pas de Togolaises, de Burkinabès, de Nigériennes ni de Ghanéennes là-bas. Celles-ci, la qualité n’est pas trop çà, donc elles sont à Yopougon. Au moins elles sont sûres d’y avoir des clients. Ici donc, à Yopougon, on les appelle les prostituées ou « les tchouins » ou simplement « les pinhoun » et non les professionnels du sexe. Ne quittez pas Abidjan sans avoir visité mon quartier.
Mais ne vous trompez pas, vous ne me retrouverez pas si vous venez m’y chercher sans que je ne vous y indique ma maison. Ceci parce qu’ici les maisons construites par la société immobilière SICOGI et mise en location-vente depuis le temps d’Houphouët, c’est-à-dire au temps où « la Côte d’Ivoire tenait sur ses jambes » comme aimait à le dire ma grand-mère, s’assemblent et se ressemblent. Pas comme aujourd’hui, où elle est à genou, croulant sous le poids de l’enrichissement surprenante d’une minorité qui exhibe sans pudeur sa richesse et l’appauvrissement déconcertante d’une majorité qui rumine sans puissance sa pauvreté. Ces maisons, les propriétaires les ont donc acquises au fil des années, certains ayant complètement soldés le paiement, d’autres non, mais personne ne les inquiète aujourd’hui.
A mesure que s’augmentaient le nombre de leurs enfants, les propriétaires de ces maisons les modifiaient pour les contenir. Ce qui explique donc l’absence aujourd’hui d’espaces verts. Si ceux qui existaient ne sont pas transformés en maquis-bars, ils le sont vite en chambres raccommodées par les services douteux d’un maçon à la maison de celui dont ils sont proches sans l’avis des voisins à qui, lorsqu’ils tentent de se plaindre, ce dernier sert cette expression : « est-cé çà é devant ta maison ? ».
Tout ceci à fait qu’il ne reste plus que juste de petits couloirs aussi serrés que les fesses d’un pousseur de charrette au marché de Ouagadougou et qui servent de chambres de passe pour la prostituée et son client, un noctambule qui vient juste satisfaire sa libido et partir. Un type pour qui le SIDA n’est qu’une « invention des Blancs » jaloux de la virilité des Noirs pour décourager leur performance au lit. Ne tentez pas de lui proposer un préservatif, il vous répondra simplement qu’« il ne peut pas manger le bonbon avec son sachet » et puis d’ailleurs, quel temps a-t-il pour enfiler-enlever-enfiler un préservatif s’il doit faire « cinq coup » rapidement et partir rejoindre ses amis qui auront déjà fini chacun 10 bouteilles de Guinness, cette boisson qui « rend garçon ?».
C’est donc là, que j’habites. C’est mon quartier, et je l’aime comme çà. C’est pourquoi, j’y vis depuis des années. J’adore le bruit assourdissant de la musique qui m’oblige presque chaque mois à aller payer ma dîme au médecin de l’hôpital de Wassakara, ainsi que les vociférations des DJ « obligeant » un père de famille inconscient à y laisser tout son salaire de fin du mois par des procédés appelés «Atalaku» dont ils sont les seuls à en détenir le secret. Celui-ci consistant à vanter les «qualités» d’une tierce personne dont elle ne dispose pas vraiment devant une foule. Le DJ l’amènera d’abord à se tenir débout par ses paroles « mielleuses » et toute la foule aura les yeux bradés sur lui. Puis, comme le policier qui isole le bandit dans une foule avant de l’abattre, il dira de lui qu’il est le directeur adjoint du FMI; que son salaire est payé en Dollars Américain ; qu’il est propriétaire de deux Jet privés et que sortir de l’argent de sa poche pour l’offrir à n’importe qui était pour lui aussi simple que le capitaine Sanogo faire un coup d’Etat au Mali à deux mois des élections et réclamer, sans vergogne, un titre d’ancien Chef d’Etat, même si cela traduit, au mieux des cas, son irresponsabilité. Quand il a sorti le premier billet de 5000 F fca, le Dj invitera toute la foule à le voir sortir les liasses de 10 000 F fca et ainsi de suite jusqu’à ce que ce laudateur termine par cette expression ivoirienne «çà ‘a tier», contraction de « çà va tuer !» ; sans toutefois dire à celui qu’il convient d’appeler sa «victime» ce qui va tuer. Simplement parce qu’il sait que ce dernier le saura une fois à la maison, quand il aura à faire face aux factures d’eau et d’électricité, quand le propriétaire viendra réclamer l’argent de son loyer, quand il recevra dans le même temps un coup de fil l’informant que sa fille vient de faire un accident et que sa mère au village mourrait s’il n’expédie pas 25 000 Fcfa pour l’ordonnance et que mettant sa main dans sa poche, il ne sortira qu’un malheureux billet de 2000 Fcfa qu’il lui a laissé, par pitié, pour lui permettre de payer son taxi retour. Voici ce qui va tuer.
Voici donc mon quartier, où j’habites. Et j’aime bien ce quartier, puisque je n’habite pas aussi loin du « Darfour » le nom que nous avons donné à notre fumoir de drogue pour faire classe ; où bandits et policiers se donnent rendez-vous d’amitiés. J’aime bien ce quartier à cause du Darfour dont la notoriété va même au-delà de notre quartier, puisque le 5 Avril 2011, pendant les moments chauds de la guerre, c’est grâce à ce lieu que certains éléments des forces pro-Ouattara et les miliciens pro-Gbagbo se sont rencontrés nous obligeant à dormir de 7h du matin à 19h. Du reste, c’est à la suite de cet affrontement que je me suis dit, « si tant est que d’un moment à l’autre je peux prendre une balle perdue comme bien d’autres ou un éclat d’obus qui mettrait fin à ma vie, pourquoi alors ne pas créer un blog pour au moins laisser trace de mon passage sur terre !?». Ce qui valu la création ce 5 Avril de mon premier blog Afrique Objectif développement sur lequel j’ai travaillé toute la nuit pour ne pas me réveiller mort le lendemain. Aujourd’hui je suis blogueur. Je recevrai même bientôt un prix que je vous dédierai –vous mes lecteurs. Voyez-vous pourquoi j’aime ce quartier. Abidjan. Yopougon. Selmer. Rue des Princes. C’est-à-dire là où j’habites.
*Le Titre est inspiré de la Chronique
« La Ville où nul ne meurt, c’est-à-dire Rôme » de l’écrivain Ivoirien Bernard Blin Dadié, parue en (1968)
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