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Au Professeur Mamadou Koulibaly : A un moment de la course, il faut savoir s’arrêter

Professeur, permettez-moi de commencer par vous rappeler les premières fois où je vous ai rencontré. Les deux premières fois, c’était respectivement à la Faculté de Droit et de Médecine de l’Université de Cocody où vous animiez des conférences face aux étudiants et la troisième fois à l’Assemblée nationale, invité à une activité de la société civile où vous aviez fait un brillant exposé sur le bilan du multipartisme en Côte d’Ivoire. A chacune de ces occasions, vous m’aviez très fortement impressionné, au-delà de votre simplicité, par votre niveau sans égal, selon moi, d’instruction, votre éloquence dans le parler et votre élégance dans la gestuelle. Vous êtes devenu depuis lors, une de mes idoles intellectuelles en Afrique. J’ai toujours rêvé de vous ressembler à ce niveau-là.

Au niveau politique, j’ai admiré votre courage, notamment celui dont il vous a fallu faire preuve pour dénoncer les dérives de corruption du pouvoir Gbagbo dont vous étiez pourtant un membre très influent, cela sans crainte de perdre votre poste. Quand vous aviez été convoqué par le Procureur Raymond Tchimou dans « l’Affaire Tagro », le 25 Juin 2010, malgré votre statut de Président de l’Assemblée Nationale, vous vous êtes rendu au Palais de Justice du Plateau, sans protocole, seulement en compagnie de vos proches William Attéby et Diabaté Bêh. Pendant un peu plus de deux heures, vous avez répondu aux questions du Procureur et promis, au terme de cette convocation que vous avez plutôt appelé « Invitation », de convoquer une réunion le 29 Juin avec la conférence des présidents des groupes parlementaires pour étudier la nécessité de la mise en place d’une Commission d’enquête parlementaire. J’en attendais tellement la suite, et plus rien !

Mon admiration pour vous est allée grandissante puis a pris un coup quand ces dénonciations sont restées sans suite et que vous avez perdu le courage d’aller plus loin, même après le verdict de la justice parce que, soit il s’agissait de fausses accusations, dans ce cas bien dommage pour votre rang ou alors un manque de courage de votre part. J’ai commencé à avoir des réserves sur votre sincérité quand vous avez refusé, contrairement à M. Essy Amara, de retourner le chèque de 100 millions de FCFA de l’Etat de Côte d’Ivoire, c’est-à-dire l’argent du contribuable ivoirien, qui vous avait été donné pour le financement de votre campagne alors que vous vous retiriez de la course à la présidentielle d’Octobre 2015. Votre argument de refus était que l’Etat vous refusait vos indemnités d’ancien président de l’Assemblee dont le montant cumulé s’évaluait à plusieurs millions de Francs. La première question que votre attitude a suscité chez moi –alors que pour vous l’avouer, je pariais tout de même sur vous quoique je ne croyais pas en vos chances de remporter les élections –était de savoir quelles étaient vos motivations réelles en vous déclarant candidat? Pour rembourser ce qui vous était du? Quelle aurait donc été la différence entre ce que vous dénonciez et ce que vous sembliez préparer à faire ?

Au fil du temps, ces réserves se sont exprimées aussi bien chez vos anciens camarades de lutte que chez une importante partie des ivoiriens. Je me suis néanmoins accroché à ce que j’admire le plus chez vous, évoqué plus haut, avec l’espoir candide que vous orienteriez votre combat différemment. Que nenni ! Grande est ma surprise de constater que chaque matin, un peu plus, un peu trop, vous vous enfoncez et mettez à rude épreuve cette si grande admiration. C’est là l’objet de la présente lettre.

Professeur, dans la série américaine « Revenge », Emily disait, pour paraphraser, que le pouvoir vient de la nature. Il est convoité par les hommes qui finissent par se faire la guerre. Les vainqueurs sont couronnés. Mais le vrai pouvoir ne peut être ni perdu, ni gagné, tout simplement parce qu’il vient de l’intérieur. Vous avez quitté le pouvoir public, mais vous n’avez pas perdu le pouvoir parce qu’il est en vous. Mais vous semblez passer à côté de votre pouvoir intérieur qui aurait pu vous permettre non seulement de demeurer constant dans vos engagements et vos combats. Quand vous avez été candidat à une élection présidentielle sans succès, échoué à une élection législative et que vous vous présentez à une élection municipale, il y a forcément des questions à se poser : Que voulez-vous réellement ? Où allez-vous ? Pour qui menez-vous votre combat ? A quelle fin souhaitez-vous accéder au pouvoir ? Vous faire rembourser le reste de vos dus avant votre retraite ou contribuer à améliorer les conditions des populations ? Lesquelles ? Au fait, sur quelle éthique basez-vous votre engagement politique ? Peut-être qu’il vous faudra, à un moment donné, répondre à ces questions et bien d’autres. Pas uniquement pour moi, mais pour plusieurs milliers d’autres ivoiriens qui vous suivent et qui attendent de savoir où vous les conduisez. Vous êtes ici et là-bas puis finalement nulle part. le Tango, il se danse certes débout, mais à deux. Avec qui dansez-vous ?

Vous jouissiez d’une très belle carrière à la CEDEAO à Dakar puis vous avez été appelé à l‘abandonner pour votre pays. Vous avez goûté au pouvoir et aux privilèges qui s’y rattachent puis avez vu qu’il était bon et avez finit par l’aimer au point de ne plus pouvoir vous en éloigner. Vous vous débattez bec et ongle pour y accéder à nouveau, pour reprendre le contrôle. C’est bien. J’ai appris que la persistance finit par faire céder les résistances. Mais j’ai aussi appris que pour reprendre le contrôle, il faut savoir parfois y renoncer. Vous avez assez couru, peut-être qu’il faut savoir vous arrêter un moment. Soit, pour évaluer le chemin parcouru et adopter une stratégie pour mieux aborder celui qui reste à faire ou alors, tout simplement, pour admettre son échec, abandonner et passer à autre chose parce que bien souvent, l’appétit de vivre tue la dignité de vivre. Préservez-la vôtre et permettez-nous, nous qui vous suivons, de continuer à vous admirer pour vos compétences de technocrates et non de politicien parce qu’ici, visiblement, soit personne ne vous comprend, soit vous ne parlez pas la bonne langue.

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Auteur·e

bela

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