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Esclavage en Libye, nous sommes tous coupable

Le chaos, par définition, échappe à tout contrôle et quand le chaos s’installe, toute notion d’ordre et de raison disparaît. Sa seule constante est que ses conséquences ne sont jamais prévisibles.

En règle générale, j’évite de réagir à chaud, sous l’effet de l’émotion, lorsque se posent des situations qui choquent et suscitent l’émoi collectif. Passée l’euphorie causée par cette pratique esclavagiste ignoble et dégradante de vente d’êtres humains, je reviens sur ce qui, selon moi, a été peu considéré par ceux qui s’y sont intéressés.

Ils étaient nombreux parmi ceux qui se sont indignés à pointer un doigt accusateur vers la Libye. Les ambassades libyennes à travers le monde ont été assiégées sur l’appel de certains leaders d’opinion. Des libyens ou personnes considérées comme telles ont été agressées (si je m’en tiens aux vidéos et certaines images qui ont circulées sur les réseaux sociaux). Même si la colère de ceux qui manifestent, même violemment, est compréhensible, ces actes d’agressions ne se justifient pas. Pas plus que ce qui l’a entrainé. Pour les raisons ci-après :

Premièrement, ce commerce honteux qui a eu lieu en Libye aurait pu se dérouler ailleurs partout dans le monde. La question de fond est de savoir pourquoi en Libye ? L’un des éléments de réponse reste le fait que la situation qui y prévaut s’y prête. Quand le Chaos s’installe, tout échappe à la raison et les actes qui en découlent vont jusqu’au seuil de l’irréel au point de choquer la sensibilité de quiconque est doté d’un sens d’humanisme. C’est donc humain d’éprouver autant de sentiments de peine mêlé de colère et de mépris. Mais, cette situation n’est pas uniquement imputable aux libyens. La chute de Khadafi a installé un état de non droit. Une sorte de « no man’s land ». Le Chaos s’y est installé, la raison s’est effritée. Qui en est la cause ? Faut bien y répondre un jour ! Les libyens ne sont pas plus responsables que ceux qui ont suscité ce chaos. Les colères exprimées devraient donc être orientées aussi bien vers les libyens que ceux qui en sont directement ou indirectement complices. Ils sont connus.

Deuxièmement, face à cette pratique rétrograde de commerce de l’homme j’ai lu des messages de gens qui s’insurgeaient contre le silence des Chefs Etats Africains. Mais que voulez-vous ? La situation ressemble à celle d’un père de famille dont les enfants se font battre chez le voisin où ils vont trouver à manger. Même si certains gouvernements ont osé faire des déclarations pour condamner cette situation, comprenez que la honte n’a de valeur que chez l’homme doté de sens. Sinon, comment voulez-vous que le père, s’il lui reste un minimum de conscience, exprime son indignation alors qu’il sait que s’il avait été suffisamment capable d’assumer son rôle en offrant à manger à ses enfants, ceux-ci ne seraient pas aller chez le voisin ? Tout ce qui lui reste à faire, en pareille circonstance, c’est aller récupérer ses enfants en pleure, la tête baissée comme un époux cocu qui reprend sa femme infidèle chez l’amant, pour les ramener à la maison, le cœur lourd de chagrin et de colère. Voyez-vous donc que les libyens ne sont pas plus responsables de ce qui se passe sur leur territoire que nos propres Etats, c’est-à-dire nous mêmes. J’aurais aimé voir des pétitions, des mouvements de masse pacifiques de Sénégalais, d’Ivoiriens, de Togolais, de Camerounais etc contre leurs gouvernements respectifs pour, à la fois exprimer leurs colères, réclamer le rapatriement de ces migrants et exiger des conditions de vie meilleure pour eux-mêmes.

J’ai lu des commentaires enflammés de panafricanistes mal inspirés –encore eux, des postes d’amis criant leurs indignations justifiées, sur la situation en Libye. Mais combien savent qu’il existe des situations aussi sérieuses que celles-ci juste à côté d’eux ? Si vous comprenez difficilement qu’au 21 siècle l’on pratique encore l’esclavage, savez-vous qu’en ce même siècle des personnes meurent pour n’avoir pas eu une seule goutte d’eau à boire, là où vous et moi en utilisons deux, voire plus, pour chasser nos restes dans un WC ? Combien parmi-vous savent que le Soudan divisé a été livré à lui-même et que des milliers de familles y meurent de famine pour des intérêts mesquins d’un groupuscule de personnes soutenu par des mains obscures venues d’ailleurs ? Cela, au demeurant, pendant que nous jetons des restes de nourriture en quantité importante dans nos poubelles. Où est passée la solidarité Africaine, si elle a toujours existé, comme j’entends assez souvent ?

Pendant que par compassion ou effet de mode, nous crions notre indignation face à la situation en Libye, saviez-vous qu’au moins sept (7) être humains nés de la même façon, ayant la même valeur que ceux en Libye ont été exterminées par les terroristes de Boko Haram dans le Nord-Est du Nigéria ? Les esclaves de Libye, eux, ne sont que vendus et pourraient avoir une seconde chance de vie, peut-être meilleure –pour exagérer. Mais, les martyrs de Boko Haram, Non ! Ceux-là auraient sans doute préférés être battus et vendus, pourvu qu’ils restent en vie. C’est ce qui les conduit à emprunter le chemin de la Libye. Quand on est jeune et qu’on vit dans un pays où on n’est plus sûr de son avenir, quand on n’est pas en sécurité, quand, même avec des millions d‘épargne on n’a pas la possibilité de vivre la vie de ses rêves soit parce que n’étant pas en sécurité, ou parce que pouvant en être dépossédé subtilement par une administration corrompue, en tentant d’investir, quand la justice aux ordres ne sert que les plus forts au détriment des moins, quand nos terres sont accaparées par des multinationales, quand l’exercice du pouvoir est confisquée, quand il ne nous reste plus rien et que tout espoir de lendemain meilleur part en lambeau, tout ce qui nous reste, c’est emprunter le chemin de nos rêves maudits. Parfois, il y a des humiliations qu’on accepte mieux chez l’autre que chez soi, parce que la conscience admet que là-bas, l’on n’est pas chez soi.

Comprenez donc avec moi que la situation en Libye est le symptôme, pas le mal. Mais pour éliminer les symptômes, il faut s’attaquer au mal. Juste une question de logique, de bon sens aussi. Rien que ça, suffit ! Cela sous-entend également un diagnostic sérieux afin de ne pas se tromper dans le choix du traitement pour s’assurer d’une guérison effective et durable.

Du 29 au 30 a lieu en Côte d’ivoire le sommet UA-UE. Cette occasion offre une plateforme importante à tous les mouvements citoyens indignés par cette situation en Libye de faire pression, de formuler des demandes claires, procéder à des manifestations pacifiques pour exiger des deux principales catégories d’acteurs des mesures concrètes contre ce phénomène.

Enfin, il y a cette troisième dimension à prendre en considération. L’œil que nous avons sur nos médias africains. Il a fallu un reportage de CNN pour que la situation prenne la proportion actuelle. Le mérite leur revient ! Mais après, une double question se pose. Où étaient nos journalistes des chaines de télé et radio, de la presse écrite ? A l’opposé, quel crédit accordons-nous à ceux, parmi ces medias, qui feraient pareils reportage ? Cette image ternie que nous avons des journalistes sur le continent dont eux-mêmes ne nous aident pas non plus à nous en défaire, a fait perdre à ce si noble métier qu’est informer, toute sa valeur –du moins sur le continent Africain. Je parie que si un média ivoirien, Béninois ou Malien avait fait le même reportage, l’écho aurait été différent. Simplement parce qu’assez souvent la neutralité de qui donne l’information étant sujette à caution, celle-ci est accueillie avec réserve.

A l’église, des pasteurs prient pour leurs fidèles moyennant des « semences », entendez offrandes pour que ceux-ci aillent en Europe. J’entend résonner dans ma tête, une prophétie que fait assez souvent un Pasteur les dimanches à certains fidèles : « Tu voyageras ! Tu ne termineras pas ta vie ici ». Ceux qui croient répondent fortement Amen !!! Certains, pour saisir la prophétie courent jeter une offrande dans le panier. Et si parmi ceux en Libye ou qui sont morts dans l’océan se trouvent certains de ces fidèles ? Peut-on dire que la prophétie s’est accomplie ? On peut en spéculer.

Le phénomène en Libye, chacun porte donc sa part de responsabilité. Les libyens sont coupables, nous aussi.

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Auteur·e

bela

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