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Côte d’Ivoire : la confrérie Dozo ou l’armée illégale

Rencontre Ministre de l'Intérieur-Dozo Jeudi 1er Novembre 2012 Crédit Image: https://news.abidjan.net/h/446861.html
Rencontre Ministre de l’Intérieur-Dozo Jeudi 1er Novembre 2012
Crédit Image: https://news.abidjan.net/h/446861.html

Selon la tradition orale Mandingue, ils appartiennent à la confrérie exotérique de chasseurs traditionnels dont l’existence remonte de deux frères mythiques : Kontron et Sanin. Toujours selon celle-ci, le fondateur de l’empire du Mali, Soundjata Keita était, avant de devenir Mansa, membre d’une confrérie de chasseur dont il fut nommé le maître, d’où son surnom Simbo. Son corps militaire était surtout composé de chasseurs.

Les membres de cette confrérie, souvent recrutés parmi les nobles, les dignitaires et surtout les classes guerrières étaient doués de pouvoirs surnaturels. Chez les Mandingues, en particulier, les Bambaras et les Malinkés ainsi que chez les groupes apparentés Bobos, Bwas ou Senoufo et les Bantou d’Afrique Centrale, ceux-ci étaient très vivaces et jouaient un rôle très important dans la société, celui non seulement de «guérison» mais aussi de «protection de la veuve et de l’orphelin» à en croire l’ethnologue Malien Youssouf Tata Cissé.

On les reconnaissait donc dans ces rôles –salutaires— même s’ils ne leur conféraient cependant pas une grande popularité. On aurait même pensé à leur tendance à disparaitre dans certains pays. Toutefois, d’autres tels que le Mali, le Burkina, le Sénégal, la Guinée et la Côte d’Ivoire tentent de préserver cette culture de confrérie. Il suffit de voir les scènes folkloriques de danses, chants, des parades, des réunions où sont racontées les histoires liées à cette confrérie ainsi que de nombreuses scènes de sacrifices pour s’en convaincre.

A mesure que s’est écoulé le temps, le rôle des membres de la confrérie a évolué. Aujourd’hui, dans certaines sociétés, ceux-ci se substituent à l’Etat dans un rôle de «sécurisation» de la population. Un rôle de «sauveur» que ne leur reconnait pas le législateur ivoirien, notamment, mais qu’ils jouent -bien- quand même. Sauf que la population, elle, n’en veut pas.

Une armée de Dozos : Ces «sauveurs» indésirables

En Côte d’Ivoire, le terme utilisé pour désigner les membres de cette confrérie exotérique de chasseurs traditionnels est «Dozos», déformation du terme «doso» en langue Malinké. Celui-ci est constitué de «do», ce qui entre, et de «so», la concession. Autrement dit, «doso ou dozos» signifie «ce qui entre dans la concession et y reste» faisant allusion au savoir, au savoir être et au savoir-faire.  Le fait d’être «dozo» ou le «dosoya» dote l’individu d’un ensemble de pouvoirs qui recoupent tous les aspects de la vie (art de la chasse, médecine naturelle, pouvoirs mystiques dont le don de métamorphose, d’invulnérabilité aux armes métalliques) et aussi le respect d’un code de conduite morale et sociale.

Ce code de conduite, existe sans doute, mais il suffit de constater les exactions commises par ces «sauveurs» pour se rendre compte qu’il reste visiblement méconnu des dozos ivoiriens ou alors que ceux-ci s’en moquent.

En effet, la crise de 2000 et l’effritement du pouvoir sécuritaire de l’Etat Ivoirien notamment après la période post-électorale de 2010, ont favorisé une irruption flagrante des «dozos» dans le maintien de l’ordre. Ceci va contribuer à faire accroître leur popularité dont ils semblent bien en jouir. On ne les voyait que dans les villages et autres contrées reculés du pays, notamment dans le Nord d’où ils sont majoritairement originaires. Cependant, aujourd’hui, chaque localité ou presque du pays y compris Abidjan -la capitale- enregistre la présence d’une confrérie de dozos qui s’identifie plutôt comme une «armée». Et comme telle, elle dispose d’un chef appelé «le commandant dozo». Ceci ressemble de fort belle manière à de l’escroquerie morale, mais passons-y.

Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest en passant bien sûr par le Centre, les dozos règnent…très souvent en maîtres absolus. Sur les grandes artères du pays, ils érigent des barrages de contrôle au même titre que les forces de sécurité régulières. Que contrôlent-ils? puisque peu importe que conducteurs et passagers soient en règle ou non, ils exigent de chaque véhicule au minimum la somme de 500 fcfa l’équivalent d’un dollar USA. Qui les y a mandatés? puisque la légitimité, ils n’en jouissent pas, la légalité non plus. Pourquoi circulent-ils dans toute la ville, des armes à la main, alors qu’ils ne disposent d’aucun permis de port d’armes ? Ne répondez pas.

En 2003, un rapport d’Amnesty International évoquait des cas d’exactions commises par les dozos notamment sur le massacre des gendarmes à Bouaké. Depuis, il ne se passe pas un jour sans qu’un quotidien ivoirien ne rapporte d’autres cas d’exactions commises par ceux-ci sur la population :« Affrontement meurtrier entre populations et dozos à sikensi» ; «un dozo égorge un jeune bété dans un village de Gagnoa», «un groupe de dozo oblige les paysans d’un village de Vavoua à payer pour se rendre dans leurs plantations etc», lit-on à la Une de ces journaux. Cela dure et perdure. La réponse des autorités tarde et inquiète. La grogne populaire devient de plus en plus forte.

Anges ou démons ? Faut-il les brûler ou les chérir ? Difficile d’y répondre dans le contexte actuel du pays. Mais, une chose reste sûre, les dozos font la pluie et le beau temps en terre d’éburnie –du moins depuis 2010. Certains sont même intégrés dans l’armée nationale à l’image du commandant Koné Zakaria –ancien chef de guerre, aujourd’hui chef de la police militaire, qui a fêté à Séguelon (région d’Odiené, au Nord de la côte d’Ivoire) ses 32 ans d’initiation lors du grand rassemblement des Dozos de Côte d’Ivoire et des pays limitrophes les 5 et 6 Février 2012.

Adulés par certains, accablés par d’autres, les dozos en Côte d’Ivoire semblent aujourd’hui être au sommet de leur pratique qui, en retour, le leur rend bien. Leurs tenues leur servent de «laissez-passer» lors d’un contrôle de police, leurs armes, de gagne-pain.

Les différentes rencontres  du Ministre de l’Intérieur avec les membres de cette confrérie suivies du démantèlement télévisé, il y a quelques semaines, des barrages dozos, s’ils ne sont pas des actes pour distraire la masse et renforcer le sensationnalisme béat des médias et se donner bonne presse devant les ONG des droits de l’homme, constituent des pas importants vers l’Etat de droit. En attendant, la mort dans l’âme, les ivoiriens devront accepter ces «sauveurs» dont ils n’en veulent visiblement pas.

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Auteur·e

bela

Commentaires

Emile Bela
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Parlons-en ici!

Ouédraogo
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Les dozos pris en tant que tels ne peuvent pas être traités de démons. Je vois que tu hésites à te prononcer sur le sujet mais je pense que les exactions commis par certains d'entre eux sont à dénoncer. Après la guerre qui a secoué la Côte d'Ivoire dans laquelle ils ont joué leur participation, je pense qu'ils devraient se consacrer à leur pratiques traditionnelles et laisser l’État jouer son rôle. Je pense que Alassane Ouattara devra prendre ses responsabilités car plus ces hommes de la tradition vont continuer à faire la loi, plus ils sera difficile de les chasser.
En plus, les dozos risquent de se décrédibiliser aux yeux de la traditions s'ils ne font pas attention car les "dieux" risquent de se fâcher.

Emile
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Excellent!
Merci Cher Ouedraogo. j'apprecie ta présence et ton commentaire.
Tu as dis l'essentiel. Les Dozos ont peut être joué un role décisif dans le maintien de la paix durant et après la crise politico militaire en Côte d'Ivoire, mais leur place rste aileurs. Comme tel, après la crise, ils devraient repartir d'où ils étaient. Quand ils ursurpent des titres "Commandants Dozos" et qu'ils en abusent au mépris de la population qu'ils sont sensé "protéger" cela devient autre chose.

C'est ce qui fait de ses anges, des démons peut-être.

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