
Crédit Photo: Emile Bela
Cela fait environ 5 ans que je n’avais plus remis les pieds au Village. Mon absence constant du pays le justifie en grande partie, mais aussi en raison des « sorciers ». Ces sorciers, des gens jaloux qui, on te le fera croire à tord ou à raison, « mangerons » ton âme si tu remets les pieds au village, « parce que tu vas devenir quelqu’un ». Par mesure de prudence, je n’y suis plus allé depuis des années. Mais, cette année j’ai décidé de braver la peur des sorciers, le calvaire du trajet (mauvais état de la route, des camions etc) pour aller au village. J’y suis allé saluer ma grand-mère, revivre la claire de lune, dormir loin des bruits, sous une lampe tempête et me réveiller au chant du coq et non du bruit des nombreux bars de mon quartier. Je suis donc allé au village, mais ce n’est pas tant que çà ce que j’ai présenté ci-dessus qui m’a fasciné. Ce qui m’a impressionné c’est cet ensemble de choses… incroyables:
*Saluer tout un village : Tu te rends seul dans ton village d’environ 500 habitants pour saluer ta famille. Rassures-toi, c’est tout le village que tu devras saluer. Cà commence ainsi. Tu croises une première personne à l’entrée du village. Il te salue et te demande les nouvelles. Ce dernier t’aide avec tes bagages chez toi et devient alors ton « porte-parole ». Une fois à la maison, il est celui qui donne tes nouvelles après avoir donné les siennes. La famille, par la suite, désignera une personne –un homme si l’étranger est un homme et une femme s’il est une femme– pour “t’accompagner à saluer le village″. C’est là tout le calvaire. Ton porte-parole de circonstance et toi parcourez TOUT le village, cours après cours –(peu importe leur nombre quitte à le faire en deux jours– pour saluer. Ton porte-parole donnera les mêmes nouvelles partout, même le voisin d’à côté assis dans sa chaise qui vous regarde et entend ce que vous dites, s’attend à vous CHEZ LUI au risque de se plaindre pour n’être pas allé le saluer. J’ai dû passer de 7h 15 à 9h28 à «saluer le village» en compagnie de mon beau frère lors de mon récent passage. Bon sang !
*Manger le plat de tout un village : Quand ton porte-parole et toi avez fini de saluer, ils devront “te rendre ta salutation” chez toi à la maison le même jour, le lendemain ou même les deux jours après. Ceci peut attendre, mais ce qui n’attend pas c’est le plat à t’apporter. C’est presqu’un «délit» que commettrait la femme qui aura manqué d’apporter à manger le soir à «l’étranger» que tu es et qui, plus, est allé la saluer. Même dans l’impossibilité de le faire, elle viendra s’excuser auprès de celle qui te ferait à manger (ta mère, ta tante ou ta sœur).
Le hic dans tout çà, c’est quand le soir tu te retrouves avec environ 10 plats différents et qu’on s’attend à ce que tu manges tout ou, au mieux, que tu “goûtes un peu de chaque plat″. Quand on t’aura «obligé» à mélanger les sauces arachide, aubergine, tomate ou graine et manger du riz, du foutou de banane ou d’igname… et que tout seul la nuit tu te lamenteras de douleur au ventre parce que ne pouvant pas supporter ce mélange, tu sauras que tu es au village.
*Être l’ami de tout le monde : Tu viens de la ville, tu es alors l’ «ami» de tout le village. Peu importe que cette amitié spontanée –disons de façade te plaise ou non. Chacun t’offrira son plus beau sourire que tu devras lui rendre. Dans chaque famille ou presque, le père ou la mère t’indiquera sa fille ou son fils qui vient d’être inscrit à l’école. Il te dira indirectement que cet enfant continuera ses études en ville et donc tu devrais te préparer à le recevoir chez toi. Vous rigolez pensant qu’il s’agit d’une plaisanterie. Ce n’est que plutard que tu te rendras compte que c’était tout sauf de la plaisanterie.
*Dire aurevoir à tout un village : Ton séjour villageois terminé, tu devras «dire aurevoir» à tous avant de retourner en ville. Exactement la même chose qu’à ton arrivée. Tu devras passer d’une cours à l’autre en compagnie d’un porte-parole qui se chargera de répéter la même formule :
«Monsieur dit qu’il est venu nous voir, son séjour est terminé, il retourne. Nous sommes là pour vous dire aurevoir ».
La seule différence est que cette fois-ci, ce sont les familles clés, disons celles avec qui ta famille ou toi avez des relations proches. En retour,chacun s’évertuera à te «dire aurevoir» en te donnant de l’argent, peu importe le montant, pourvu qu’il t’«oblige» à lui être redevable une fois que tu travailleras. La formule en t’offrant ce «cadeau empoisonné» est la même : “Emile, tiens-çà pour boire de l’eau en route…. Emile, prend ceci pour t’acheter du pain en route”. Cette fois-ci, je me suis retrouvé en fin de compte avec 20 000 Fcfa, l’équivalent de 40 dollars USA « pour boire de l’eau ou acheter du pain en route ». Tenez-vous bien, cet argent ne se refuse pas. Peu importe celui ou celle qui le donne car cela constituerait une « énorme boude ». Si vous essayez, ils insisteront assorti de cette phrase subtile mais qui traduit tout : “Prend. Un élève, c’est pas pour une seule personne…prend çà tu vas te débrouiller, si demain çà va tu peux nous regarder…C’est sur vous on compte.” Tu prends cet argent la tête lourde en gardant à l’esprit que tu lui es désormais redevable.
Ceci s’appelle la dette sociale. Lors de ta prochaine visite au village, tu devras aller le saluer. Si tu es un élève, à mesure que tu avances dans tes études, le montant et le nombre de personnes qui te disent «aurevoir » s’augmentent. Nul ne veut être en reste. D’autres iront même jusqu’à s’endetter pour te dire aurevoir. Je me souviens de ce monsieur qui s’est senti «obligé» de me dire aurevoir. N’ayant pas d’argent dans l’immédiat, il a dû emprunter 5000 Cfa à ma sœur ainée pour me donner pour juste se donner de la contenance. Cette «dette», il ne l’a jamais remboursé, ma sœur n’a pu l’encaisser. Drôle non !? En tout cas moi j’aime le village. Pour çà, pour tout çà !
Cet article est particulièrement dédié à Mlle TRAORE Kadiatou, Une fidèle Lectrice de la Guinée Conakry. A ta demande d’écrire sur le sujet.
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