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Lettre d’une grande Soeur à son petit Frère

La boîte aux lettres – 2012-03-15 par fred_v, via Flickr CC.

Cher petit frère, Bonjour.

J’espère que cette lettre te parviendra en très bonne santé. Ici nous allons bien hormis quelques nouvelles de la famille et du pays que je vais te donner qui ne seront pas toutes de nature à te faire garder ton sourire habituel.

Au niveau de la famille, en t’écrivant cette lettre ce matin, je suis étreinte par la douleur d’une mère de famille soucieuse de ses enfants et aussi de ses frères et sœurs mais impuissante pour manque de moyens financiers.

Ton beau frère, mon mari, a été opéré d’une hernie étranglée il y a deux jours et se remet lentement. Mais il lui faut encore retourner pour d’autres soins à l’hôpital public de WASSAKARA, or comme tu le sais ces hôpitaux publics de Côte d’Ivoire tuent plus que les maladies elles-mêmes. Quand l’infirmier ne te demande pas des frais supplémentaires avant même de te consulter pour ensuite te sortir une ordonnance dont le montant peut avoisiner le budget annuel du Togo, et dont les médicaments sont à acheter uniquement à la pharmacie de l’hôpital, c’est la sage femme qui, se moquant de la noblesse de son métier et visiblement l’exerçant parce qu’ayant échoué ailleurs en attendant d’économiser suffisamment d’argent pour payer son concours d’entrée à la police d’où sortie, il lui faudrait une seule journée de racket pour réunir le montant nécessaire pour payer son loyer, laisse la femme dans la salle « en plein travail » pour suivre ce malheureux feuilleton Hindou qui ne parle que d’amour et de trahison.

Junior, ton neveu, est revenu de l’école hier peu avant midi -comme toujours d’ailleurs, puisque m’a-t-il dit, le maître était encore malade. Ce maître qui, sur neuf mois de cours reste malade pendant quatre – avec une liste de « fourniture ». J’ai pensé qu’on lui demandait de construire une salle de classe à lui tout seul : sac de ciment, perle, brouette etc.

Quand tu étais ici, nous mangions deux fois par jour quoique la qualité de la nourriture était douteuse. Nous maudissions Gbagbo et tu nous assurais que Ouattara viendrait avec des solutions. Aujourd’hui les solutions arrivent mais au compte-gouttes.

Contraints par la cherté de la vie, nous ne mangeons maintenant qu’une fois par jour. Tout ceci m’a rendu malade, mais je me suis vite remise pour m’occuper de ta nièce, qui a piqué une crise et que j’ai dû envoyer dans un camp de prière, n’ayant plus d’argent pour l’hôpital. Mais petit frère, ces camps sont devenus de véritables entreprises. Je dépense en moyenne 10 mille francs CFA par jour. Figure-toi que nous sommes près de 50 familles et chaque personne par famille dépense ce montant. Le Pasteur principal vit en Europe avec sa famille et n’y vient qu’une fois la fin du mois pour « faire le compte » avec ses assistants et repartir.

 Cher petit frère,

Au niveau du pays, Il y a dans l’ensemble, un peu d’avancée quand même. La reprise économique  est remarquable. Les infrastructures routières et énergétiques ont été réparées et renforcées. Les rues ont été bitumées par endroits, quelques caniveaux nettoyés. Les Universités dont tu te plaignais toujours de la vétusté, ce qui a écourté ton désir de continuer tes études de Doctorat, ont fait peau neuve même si les interminables grèves liés au traitement salarial des enseignants se poursuivent.

Les alliés internationaux ont exprimé leurs soutiens à Ouattara et la remise de la dette a permis de la réduire de moitié par rapport au niveau auquel il était en 2010.

L’assainissement de l’environnement des affaires est en impressionnant progrès, ce qui rend le pays davantage attractif aux investisseurs internationaux. Le secteur agricole tangue mais est loin du pire. En un mot, tout bouge…même si l’avancée se fait à un rythme auquel le caméléon n’a rien a envié.

Cependant, beaucoup reste à faire. Au niveau sécuritaire, nous vivons toujours dans la psychose, craignant une attaque des gens qu’on nous fait croire à l’envie qu’ils sont proches de Gbagbo.

La Commission Dialogue-Vérité-Réconciliation a du mal à se réconcilier avec elle-même. Toujours animés par la haine, les Ivoiriens continuent de s’éviter.

Les journalistes, notamment ceux de l’opposition, au nom d’une liberté d’expression mal comprise, continuent d’enflammer les passions et d’insulter le pouvoir. Ils s’évertuent à prouver que Ouattara est un assassin et cela par tous les moyens même les plus irrationnels. Ils ont même écrit que si le Pape était veuf, c’était la faute de Ouattara qui a tué son épouse et que sa récente visite au Vatican était pour lui présenter ses excuses. En retour, il les tape par moment et souffle le froid. Te souviens-tu de la suspension collective des journaux de l’opposition ? C’est la forme évoluée de la non atteinte à la liberté d’expression.

Tu me parlais souvent de ton amour pour la démocratie. Oui, nous en vivons une ici, sauf que c’est la forme piratée. Sais-tu pourquoi la balance symbolise la justice ? C’est pour traduire l’équité. Mais mon petit, ici, la balance a changé de position et pèse plus d’un côté que de l’autre.

Quand à ton bien aimé de Président Ouattara, il est devenu un pilote. Il connaît toutes les compagnies aériennes qui desservent la Côte d’Ivoire et leurs horaires de vol. Par-dessus tout, Il semble même avoir perdu de vue l’essentiel. Pour preuve, il a forcé la main des députés pour faire voter une loi nauséabonde qui fait de nous les femmes des chefs de famille au même titre que les hommes. Petit frère, entre nous, à quoi me servirait un titre de Chef de famille ? Est-ce que cela changera ma situation si elle n’est suivie d’aucun acte plus fort surtout que les lois de cette nature abondent dans notre constitution sans effet ?

 Cher petit frère,

Comme tu peux le constater, les nouvelles sont nombreuses que j’aurais aimé te donner mais je n’irai pas plus loin.

Je voulais terminer par l’objet principal de cette lettre même si je ne sais pas comment commencer. Depuis tout petit, tu n’avais jamais aimé demandé ni à papa ni à maman et tu as grandis avec cela. Tu n’aimes pas non plus qu’on te demande. Je suis donc un peu gênée mais je t’en supplie, envoie-moi un peu d’argent pour que je survive ; pour subvenir aux premiers besoins de la famille. Je comprends que tu sois toujours en stage mais fais un effort.

En espérant te lire dans deux jours, je te souhaite beaucoup de courage. Sache que nous t’aimons tous.

Abidjan, le 2 Décembre 2012

Ta Grande sœur

 

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Auteur·e

bela

Commentaires

Emile Bela
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Parlons -en ici!

Moustapha
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RAS Tout a été dit dans cette lettre.
Je crois que ta grande soeur a résumé la pensée d'une multitude.

Best,

zagre amidou
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ya pas l'homme pour ma grande soeur.ainsi nous voulons avec cette mentalité que la cote d'ivoire renaisse de ses cendres! quel dommage pour la classe politique et aussi pour une grnde partie de la population qui ne cesse de semer la haine dans les coeurs des uns et des autres. aux presses qui continues de remuer dans la plaie, de grace, un peu de bon sens pour le bien de la cote d'ivoire. les rwuandais ont vecu pire que ça mais ils se sont ensortis.pourquoi pas la cote d'ivoire! que Dieu protège ce beau pays.
A la grande soeur,qu'elle prenne courage car ça ira un jour. ne dit-on que:"tôt ou tard, le soleil se levera!"

Emile Bela
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Merci d'être passé Zagré.
Abientôt pour la réponse

Emile Bela
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Salut Moustapha,
Merci d'être passé.
La réponse à lire bientôt.

fofana
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La grande à tout dit mon fils. C'est réellement comme cela que se porte le pays.Le miel au sommet et la mer à boire dans les familles.On pourrait dire UNE RICHESSE PAUVRE ;C'est même avec ses petites économies qu'elle me soutient de temps en temps pour mon tabac , mon pétrole et les petits chichis..... Lol.

Emile Bela
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Ah bon Papa,
Moi qui croyait que tu aurais plus les moyens que la grande soeur.
Dommage alors. Lool

Merci d'y avoir été.

Abientôt pour un nouvel article

RitaFlower
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Bonjour Emile,tu t'en souviens.Lors d'échanges de mails privés,tu m'avais promis m'envoyer tes nouveaux articles lorsque tu les postent.J'ai toujours rien reçu de toi,dommage.C'est courageux à ta grande soeur d'afficher ses tandences politique içi meme si je les partagent pas,je les respectent malgré tout.Le seul conseil que je peux lui donner c'est d'etre prudente sur cette question.Le pouvoir ivoirien change si vite.Pour conclure,je te dirais que je suis surprise que ta soeur te sollicite financièrement tout en sachant ta situation professionnelle en ce moment.YOKO,Emile OH!

Emile Bela
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Chère Rita, désolé de n'avoir pas tenu promesse.
En réalité je croyais le faire, que non.
Je vais y faire attention.
Merci de me le rappeler. Merci aussi pour ta fidélité et cette marque d'attention que tu portes à mon Blog.

Pour le reste, sache que ma grande soeur en question ne m'a jamais envoyé cette lettre du reste fictive mais basée sur des faits réels.
Ceci est un autre style d'écriture qui tranche avec la forme traditionnelle.
Je te conseille, pour cet article comme bien d'autres à venir de lire entre les lignes.
J'aime cette forme d'écriture empruntée chez mes grands auteurs.

Amicalement

RitaFlower
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Rectificatif:YAKO.Faute de frappe.Je suis sure que t'avait compris quant meme,Emile...

Mamady Keita
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C'est vraiment émouvant ce billet.Très bel article

Emile Bela
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Merci Cher Ami Keita d'être passé.
Suis ravi que tu ais compris.
J'apprécie également tes écris sur vol d'oiseau
Amicalement