Crédit:

Le monde vous appartient, possédez-le !

Photo : James Coleman

Quand j’étais petit, mon père me disait qu’un vieillard de 100 ans qui a vécu dans un seul village n’a pas la même expérience de vie qu’un jeune qui a fait 100 villages. Il avait pour arguments qu’il fallait voyager, s’ouvrir aux autres, apprendre d’eux. Il parlait différentes langues et s’en enorgueillissait. Je l’enviais pour ça uniquement, mais en ce moment-là, je ne comprenais pas pourquoi il fallait forcement sortir de sa zone de confort pour d’autres lieux quand on a tout chez soi. Je me demandais comment et pourquoi je devrais quitter mon pays pour un autre. On nous avait tellement fait croire que la Côte d’Ivoire avait tout, et était ainsi le pays « le plus doux au monde ». Mais le temps a fait son effet et au fil des années, cette conception a pris des rides.

J’ai compris beaucoup de choses que mon père me disait et développé progressivement un intérêt pour l’aventure, pour la culture des autres aussi. J’ai surtout compris que le meilleur moyen d’avancer dans la vie, c’est d’aller vers l’inconnu. Je me suis intéressé à la littérature et me suis fait orienter en série littéraire parce que les livres m’aidaient à voyager sans bouger. À l’Université, j’ai plutôt opté pour les langues (peut-être pour faire comme mon père) mais surtout je me suis intéressé à la civilisation américaine, vu le processus de peuplement des États-Unis et le caractère cosmopolite de ce peuple.

Je priais et jeûnais pour voyager, mais bien moins pour découvrir d’autres choses qui pourraient contribuer à mon développement personnel et professionnel que pour satisfaire une simple curiosité d’adolescent. Surtout, pour faire bling-bling, c’est-à-dire visiter et prendre des photos sur des lieux touristiques, ou contempler le paysage depuis le hublot d’un avion à 1000 pieds d’altitude, me retrouver au-dessus des nuages, me prendre en train de manger dans un avion – je me demandais toujours comment cela était possible de manger dans un avion. Mes arguments en ce temps-là se résumaient majoritairement à ceux-là.

J’avais 25 ans quand, pour la première fois, je suis sorti de la Côte d’Ivoire dans le cadre d’un voyage d’étude. Ce voyage a déclenché toute la suite. Depuis lors, aussi bien pour des raisons professionnelles qu’académiques et personnelles, j’ai parcouru le monde, rencontré des peuples, tissé des relations d’amitié et appris de nouvelles choses. Je me souviens du gros coq que m’a offert cet éleveur que j’ai rencontré à l’occasion d’une mission avec ma collègue Pascaline Kiemde, dans un village dans l’extrême nord du Burkina Faso en 2011, parce que je lui avais donné un sachet d’eau minérale qu’il a bu et dont il a renversé quelques gouttes dans les bouches de ses deux gamins.

Je me souviens de l’accueil si chaleureux auquel nous avions eu droit lors d’une mission en Casamance sur l’intégration régionale en août 2015. Le peuple Casamançais, un peuple sobre et enthousiaste de gens qui vous donnent le peu qu’ils ont la main sur le cœur. Que de belles expériences… Je mesure aujourd’hui pleinement la portée de ce que mon père me disait. Demain, j’en parlerai à mes enfants.

En attendant, et c’est ici l’objet de ce billet, je prends prétexte de mon expérience personnelle pour parler à certains jeunes (étudiants) dont certains sont quasiment en fin de cycle mais qui n’ont traversé aucune frontière, ne disposent même pas d’un passeport et dont d’autres n’envisagent même pas voyager un jour de leur vie hors de leur pays. Si toi qui lis cet article tu te retrouves dans ce cas, sans te donner de leçon, permets-moi de te dire que tu commets une grosse erreur.

Le Père Denis Maugenej, alors Directeur du Centre de Recherche et d’Action pour la Paix, disait que « lorsque vous restez chez vous, vous vous désolez, mais quand vous allez chez les autres, vous vous consolez ». Sortir de son pays, découvrir d’autres réalités, au-delà de bien d’autres avantages qui en découlent, te permettra de mieux apprécier ce dont tu disposes chez toi, d’en prendre soin ou de l’améliorer. Mieux, à un certain âge, à un certain niveau de formation, sortir de son pays apparait non plus comme une option mais une obligation. Que l’on ait envie de devenir un entrepreneur ou un fonctionnaire dans une multinationale ou même dans l’administration publique. Dans le premier cas, tu développeras de nouvelles idées qui te permettront de mieux formuler ou d’enrichir ton projet d’entreprise ou même de développer des partenariats d’affaires. Dans le second, cela contribuera à élargir tes champs de compétences, accroître ta compétitivité sur le marché de l’emploi.

Je rencontre certains jeunes qui rêvent de travailler à la BAD, à la Banque Mondiale, au PNUD, etc, mais dont l’expérience se résume à une ou deux années de travail dans une ONG dans leur pays, sans plus. Dans une concurrence pour le même poste face à un autre diplômé qui totalise le même nombre d’année d’expérience, mais ayant acquis ces expériences dans deux, voire trois pays différents, il est bien plus compétitif que vous. Comprenez que ces institutions sont internationales et donc s’intéressent à des personnes qui ont ce qu’elles appellent une « international exposure », ou littéralement « exposition internationale ».

Sortez, non pas pour y demeurer, mais pour apprendre, élargir vos réseaux professionnels et personnels, confronter votre culture à celle des autres pour vous enrichir. Sortez pour vous rendre compte que votre idée que vous considérez comme unique, quelqu’un d’autre l’avait déjà avant vous et donc en détient bien plus d’expérience qui pourraient vous être utile. Sortez et vous vous découvrirez d’autres qualités que vous ignoriez chez vous. Je croyais qu’un plat de garba avec du poisson thon n’avait d’égal sur terre. Mais ça c’était avant que je ne découvre le Kinke et le Banku-tilapia au Ghana, le Eru et le Ndolè au Cameroun, le Gonré surprise au Burkina etc. Vous voyez ce que je veux dire?

Allez-y chez eux. Passez-y le temps qu’il faut. Apprenez ce que vous ignorez. Mais le moment venu, revenez parce que c’est vous qui avez sur vos épaules, le poids de la construction de votre pays. Comment comptez-vous donc dépasser les autres si vous ignorez à quel niveau ils sont ? Quand vous reviendrez d’une visite à Dubai ou à New York, vous comprendrez que la tour D de seulement 26 niveaux n’est pas le plus long au monde et quand vous découvrirez que l’Université nationale de la Guinée Bissau ne dispose même pas d’une faculté de Droit, vous apprécierez mieux la chance que vous avez d’en avoir plutôt que d’avoir à vous déplacer au Sénégal comme les jeunes Bissau Guinéens pour poursuivre vos rêves de juristes.

En un mot, retenons que le monde aujourd’hui est un village planétaire. Ce qui se passe ailleurs nous touche directement. Certaines expériences vécues pendant vos années hors de votre pays et lors de vos voyages vous révolteront probablement, mais d’autres vous formeront. Dans les deux cas, elles vous enseigneront des leçons et ouvriront vos esprits vous permettant ainsi une lecture bien différente du monde et de votre environnement immédiat. Allez-y où vos rêves vous transportent. Le monde vous appartient, possédez-le !

Partagez

Auteur·e

bela

Commentaires