Cher Emile,
J’ai voulu te parler face à face, mais compte tenu du degré de ma colère, je pourrais perdre mon sang froid et te gifler sur la joue droite pour faire voler en éclat tes 64 dents noirs qui pullulent dans ta vilaine bouche que tu utilises pour manger dehors là. Toutefois, moi je ne suis pas si violent que toi, oui, parce que violent il faut bien l’être pour faire subir à sa voisine de cohabitation pareille torture morale. J’ai donc résolu de t’écrire une lettre pour te dire combien j’en ai marre d’être négligée dans cette maison. Non, Emile, trop c’est trop ! Je ne peux plus contenir ma rage. Il faut qu’aujourd’hui je te dise ce que j’ai sur le cœur qui me ronge.
Nous vivons à cinq dans cette maison, c’est-à-dire toi, ton salon, tes toilettes, ta chambre à couché et moi, ta cuisine.
Cher Emile, dans seulement deux jours, c’est à dire le 5 Mai 2016, nous aurons passé une année entière ensemble dans ce pays étranger où tout est si étrange ; soit 365 jours de cohabitation et moi, ta pauvre cuisine, je ne bénéficie jamais des mêmes traitements que tu accordes aux autres. Pas un jour, pas même un seul pitoyable jour de présence pour faire cuire même un oeuf. Est-ce normal ça, hein Emile ? Tu es grossièrement absent et diablement indifférent face à mes supplications et celles des autres qui se soucient de ta santé dont ta sœur ainée, mon amie, qui t’appelle chaque jour presque pour te conseiller de me fréquenter, de te débrouiller pour cuisiner et cesser de te plaindre des ballonnements constants de ventre. Pourquoi es-tu si sourd à toutes ces voix ? Pourquoi fais-tu ça, hein Emile ? Qu’est-ce que je t’ai fait de si mal dans cette maison pour que tu me méprise tant, hein ? N’ais-je pas droit, moi aussi, à un minimum d’attention ? Peux-tu avoir le courage de me répondre ?
Face aux incessants appels de mon amie, tu as acheté des ustensiles de cuisine (cuillères, fourchettes, louches, écumoires, trois casseroles, sel, huile et tralala), une bouteille de gaz chargée, une cuisinière vitrée avec même des fleurs, en un mot tout ce qu’il te faut pour cuisiner. J’ai sauté de joie ! Tu lui a envoyé les photos. Elle et moi t’avions félicité… et depuis, plus rien ! Emile, est-ce donc nous que tu as trompé ? Tu nous prends pour qui, toi ? Depuis quand tu mens ? Tu es un politicien, hein ?
Voici quatre mois environ que tu as chargé une malheureuse petite bouteille de gaz et pourtant elle demeure presqu’intacte à part les jours où tu as eu l’intention de cuisiner où tu as ouvert et oublié de fermer avant de venir te contenter d’un pot de Yaourt. Si seulement ce foutu de frigo pouvait se gâter !
Tu penses qu’avec une telle attitude tu auras une fille pour t’épouser? Je t’apprends qu’aucune femme n’aime un mec nul à la cuisine, donc mieux vaut apprendre dès maintenant. Tu crois qu’en plus, avec tes préférences capricieuses, du genre je n’aime pas les grillades, je préfère les mets africains, j’adore le foutou et patati patata, tu auras une fille à ta mesure ? Quoi, c’est la fille de quelqu’un qu’il a entretenu, scolarisé et rendu si bling bling que tu as aimé au premier regard que tu vas transformer en robot à cuire, hein Emile ? En plus, te piller du foutou ?! Quelle fille a envie d’être aussi musclée qu’un joueur de rugby après seulement deux ans de vie de couple ? D’ailleurs, penses-tu qu’avec cette génération de fille 2.0 occupées à tweeter, à mettre à jour leurs profils Facebook, connaissant tous les noms des actrices brésiliennes et indiennes mieux que les ingrédients pour faire une sauce tomate, elles auront le temps pour ça ? Et quand bien même qu’ils en auraient qui se distingueraient, crois-tu qu’elles seraient toujours prêtes à ajouter aux stress de leurs boulots, celui de ton ventre ?
Emile, on te dit toujours que quand tu vas te marier tu vas grossir, mais laisse moi te dire que si c’est la nourriture qui fait grossir, sache que toi seulement même marié, tu ne pèseras pas plus que tes 52 kg actuels. J’ai même peur qu’on vienne te ramasser un jour tombé en hypoglycémie.
Cher Emile, ce qui me fait le plus mal, c’est que, pour ne pas me pratiquer, tu es venu déposer en mon sein ton seau qui te sert de poubelle. Emile, depuis quand une cuisine est faite pour les ordures, hein ? Je ressemble à une poubelle, moi ? Si tu veux transformer une partie de ta maison en poubelle, pourquoi pas ta vilaine douche, hein ? N’est-ce pas là-bas que tu vas déposer tous ces vilains trucs que tu avales à longueur de journée dans tous ces nombreux fast foods de cette ville, hein ? Emile, pourquoi tant de haine gratuite ? Que fais-tu des règles de cohabitation? Pourquoi dès ton retour de travail tu files dans la douche pour après t’installer dans ton fauteuil regarder la télé ou lire un bouquin ou simplement communiquer avec les gens qui sont si loin alors que moi je suis juste à un pas pour ensuite courir dans ta chambre à coucher sans même ouvrir cette porte qui m’empêche de respirer ? A force de les pratiquer, tu as fait perdre l’une de toutes les clés des autres portes sauf moi qui en ai toujours deux. Emile, l’égalité de traitement aurait-elle pris ses congés chez toi, hein ? J’attends ta réponse le jeudi à la même heure.
Abuja le 3 Mai 2016
Signé, Une cuisine qui en a marre d’être abandonnée !
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