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« Embarquez-les tous », y compris Aka !

imagesL’histoire que je résume à travers ce billet est celle d’un jeune qui croit en la vie et en tout ce qu’elle a de meilleur et qui justifie qu’on se batte pour elle. Un jeune qui a des rêves, formule des projets et se donne les moyens de les réaliser; un jeune surtout qui croit en l’homme et aux vertus de l’hospitalité. C’est pourquoi actuellement, il se trouve dans une situation qui me peine.

Aka a 27 ans, voire un peu plus. Il est père d’une famille de quatre enfants. Il est né dans une famille modeste. Très tôt il a dû quitter l’école pour se tourner vers la pêche. Aka est devenu donc pêcheur comme ses oncles maternels avec qui il vivait à Boubélé, un petit village balnéaire dans la sous-préfecture de Tabou, au sud-ouest de la Côte d’Ivoire.

Le 1er janvier 2015 au soir, Aka a appelé son frère aîné qui est mon meilleur ami. Il lui a raconté un événement qui a chamboulé sa vie après avoir reçu chez lui quatre hommes. L’un d’eux serait originaire du Ghana tout comme leur mère. Arrivés pour la première fois dans le village, ils cherchaient où se loger. Aka ne voyait aucun inconvénient à les héberger sauf que son appartement trop petit ne le lui permettait pas. Il les aurait alors conduits chez le chef du village et leur aurait servi par la suite de tuteur en les aidant à trouver une maison à louer, avec l’accord du chef du village.

Le chef, lui, aurait été informé des jours avant de mouvements suspects d’un groupe de personnes complotant contre l’Etat ivoirien. Il devait donc signaler à la gendarmerie toute présence d’inconnus. Le dimanche 4 janvier, très tôt le matin, la gendarmerie encercla le petit village de pêcheurs. Elle arrêta les quatre visiteurs. Le chef avait bien sûr indiqué à la gendarmerie qu’Aka était leur tuteur. Chrétien pratiquant, comme tous les dimanches, Aka allait prier. Sur ordre des agents de la gendarmerie, il fut appelé. Grande a été sa surprise de se trouver face aux gendarmes et de voir ses  hôtes menottés.

Les mis en cause, eux-mêmes, auraient reconnu n’avoir connu Aka qu’à leur arrivée dans le village. Autrement dit, si déstabilisateurs ils étaient, Aka ne pouvait le savoir et ne saurait ainsi être considéré comme complice. Après avoir écouté Aka et tous les témoins, la gendarmerie demanda au chef du village ce qu’il pensait d’Aka et ce qu’il fallait faire de lui. Le relâcher ou non ? Sa réponse a été nette : « Embarquez-les tous ! »

Le chef a parlé et sa parole a été entendue. Au moment où je publie ce billet, soit sept mois après, Aka est toujours détenu à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca, sans autre forme de procès que celui rendu par le chef de Boubélé. Son délit ? « Atteinte à la sûreté de l’Etat ».

C’est la compagne d’Aka qui a informé son frère, mon ami, de son arrestation. La famille est restée sans nouvelles d’Aka pendant plusieurs semaines. Personne ne savait où il était détenu. Ce n’est qu’au bout de deux mois que ses proches ont appris qu’il avait été déféré à la Maca. Nous nous y sommes rendus. Il nous a raconté sa version des faits ’ que je viens de résumer. Je dis résumer parce qu’il y a d’autres détails que j’ai occultés, uniquement par souci de concision. Nous avons aussi rencontré celui considéré comme le chef de gang qui nous a donné sa version notamment sur l’arrestation d’Aka. Il nous a avoué qu’il aurait même plaidé pour qu’Aka soit relâché et que ce dernier ne serait pas là si le chef du village ne l’avait pas voulu ainsi. Le chef l’a donc voulu. Sa volonté a suffi.

Aka nous a appris qu’il avait été conduit dans une maison à Abidjan, où il aurait été entendu, sans avocat « par un juge spécial », lui a-t-on dit. Le juge, toujours selon lui, aurait dit qu’il ne devrait pas se retrouver là, mais le processus avait été déjà lancé et devrait donc suivre son cours. On a appris plus tard qu’il avait fait l’objet d’une enquête de moralité. Sa compagne nous a informés avoir été interrogée « par des gens »,  à Boubélé et depuis, plus rien. Coupable ou innocent ? Ni Aka, ni nous, ni sa famille ne le savons.

En y pensant, chaque nuit, ce sont des questions qui se succèdent dans ma tête. Que fait Aka à la Maca ? Qu’attend le juge d’instruction pour décider du sort de ce père de famille dont l’épouse a de plus en plus de mal à répondre aux questions de ses enfants. Les plus petits demandent pourquoi leur père est dehors depuis si longtemps ? Sept mois après, à quel stade du processus sommes-nous ? Jusqu’à quand Aka devra-t-il attendre ? La parole d’un homme, aussi chef soit-il, suffit-elle face à des hommes de droit, pour briser la liberté, voir la vie d’un citoyen ? Qu’en est-il des droits d’Aka qui n’a pas été assisté d’un avocat ? Que sait-on des rapports entre le chef et Aka ? Les deux hommes avaient-ils des antécédents ?

Je le répète, ce billet n’est qu’un résumé de l’histoire. Les détails auraient permis à chacun de mieux décider. Mon intention n’est donc pas de clamer l’innocence d’Aka, même si sa version des faits, confortée par celle de son codétenu ainsi que celle de son épouse, que mon ami et moi avions entendue, me pousse à émettre beaucoup de réserves sur sa culpabilité.

A travers ce billet, ce que je déplore, c’est le fait que le simple avis, visiblement pas même fondé, d’un homme suffise pour inculper un individu. Les juristes m’éclaireront un jour.C’est surtout le caractère de ce fameux délit d’atteinte à la sûreté de l’Etat qui explique que des citoyens soient privés de leur liberté pendant des mois, voire des années, sans procès. Dans le rang des visiteurs à la Maca, une dame m’a raconté que son mari en était à sa deuxième année de détention pour ce même délit qui reste à établir puisque son procès attend toujours.

Aka serait coupable, qu’il réponde de ses actes et soit condamné. C’est ce qui se fait dans un monde normal, dans une société civilisée, dans un Etat de droit. Mais, s’il ne l’est pas, qu’il soit libéré pour lui permettre de retourner affronter, au quotidien les vagues de la mer afin de subvenir aux besoins de sa famille. L’avenir de ses enfants en dépend. C’est sa vie. Et il n’en veut pas à la société pour cela.

La dernière fois où mon ami et moi nous sommes rendus à la Maca pour rendre visite à Aka c’est un garçon physiquement  affaibli du fait des conditions de vie dans son lieu de détention, mais psychologiquement fort que nous avons rencontré. Aka s’en sortira, j’en reste persuadé. Mais, ma prière pour lui est qu’il ne soit pas gagné par la haine, ni de son prochain, ni de son pays, ou même de sa propre vie. Parce que la prison, on n’en sort toujours, mais la seule d’où l’homme ne peut sortir demeure celle où l’enferme sa propre haine et dont parle Venance Konan dans son œuvre, « Les prisonniers de la haine ».

Sois fort, Aka

Tes enfants t’aiment !

Nous prions pour que tu t’en sortes bien !

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Auteur·e

bela

Commentaires

Emile Bela
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Vos mots pour le dire ici!

Blanche Monsia
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Notre pays va de mal en pire.L'état de droit laisse peu à peu la place à un état de police et cela je ne suis pas la seule à l'avoir remarqué.
En Côte D'ivoire il faut savoir où tu mets les pieds pour t'éviter les problèmes.Dans son cas il aurait dû se precipiter à la gendarmerie.Certaines personnes disent qu'en voulant bien faire les choses il arrive parfois qu'on se fourvoie.Je suis contre cette détention arbitraire.Mais en réalité on n'y peut rien, c'est le système qui est comme ça.Quand le judiciaire et l'exécutif se confondent on ne fait plus la part des choses.Beaucoup de courage à lui et qu'il n'oublie pas que si la justice des hommes semble l'avoir oublié celle de Dieu ne l'oubliera pas.

Emile Bela
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La situation judiciaire est véritablement fébrile en Côte d'Ivoire et ce délit monstrueux "d'atteinte à la sûreté de l'Etat" quant à lui traduit une psychose trop présente qui anime le pouvoir.
J'ai surtout aimé ta dernière phrase qui me conforte qu'Aka sortira.

Merci d'être passée et Abientôt pour un nouveau billet.

Amitiés,

Aboudramene kone
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les prisonniers de la haine! on fera pas ici le procès du pauvre AKA mais on dira tout simplement que justice soit rendu. Même si beaucoup de choses peuvent paraitre un peu bizarre dans la tête des enquêteurs quant à accueillir 4 personnes venu d'un coup de nul part. en tout cas que justice soit rendu. Comme à ton habitude à la recherche de la vérité. Merci pour le billet

Emile Bela
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Merci d'être passé cher ami et abientôt pour un nouveau billet.

Amitiés

Benjamin Yobouet
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Ce billet est empreint d'émotions.

Il permet de faire comprendre à tous que tous ceux qui sont en prison ne sont forcément coupables.

C'est parce que la justice ou le droit n'est toujours pas respecté.

Le cas de AKA doit faire école !