Mon Fils,
J’espère que cette lettre te parviendra, d’une façon ou d’une autre. Demain, tu naîtras. Ma vie changera. Le regard du monde sur moi aussi. Mes responsabilités s’augmenteront. J’y ferai face. C’est ce que m’a enseigné mon père, ton grand-père. Je ne vivrai plus pour moi seul. On dira de moi, c’est bon signe. Il est devenu un homme ! Je porterai donc ce titre d’homme, non sans efforts pour surmonter aux préjugés forgés par ce monde sur les hommes et dont ils en souffrent souvent.
Tu sais mon fils, la société a voulu que la femme soit le sexe faible. Elle aussi l’a admise ainsi. Et elle s’est confinée dans sa position de victime. La même société a voulu que l’homme soit le sexe fort. Lui aussi l’a admis ainsi. Et il a bombé son torse pour prouver sa force qui fait de lui le bourreau. La société a ainsi opposé la victime à protéger au bourreau contre qui se protéger ignorant que parfois, le bourreau cherche lui-même à se protéger. N’ayant personne avec qui partager ses peines qui souvent le rongent, le bourreau choisit plutôt de les étrangler difficilement avec des armes qui l’exposent à la vindicte populaire et font de lui ce qu’on veut qu’il soit et qu’il refuse.
Afin d’équilibrer l’inégal rapport entre la victime présumée et le bourreau fabriqué, la société organise, en dehors d’autres choses, une myriade de fête à l’honneur de la femme chaque année. Je n’ai rien contre ça, mon fils. Elle le mérite. Mais ce que je déplore c’est le fait que nous autres pères soyons oubliés, du moins que notre rôle soit moins reconnu et célébré.
Mon fils,
Dès les premiers moments de la grossesse de ta mère, j’ai su que les neuf mois que tu mettrais à venir au monde ne seraient pas une partie de loisir pour moi. Ta mère te porte physiquement et moi psychologiquement. Elle maigri, se déforme et se transforme à mesure que les jours passent. Moi aussi. Sais-tu pourquoi ? Je t’en parle. L’annonce de ta grosse a imposé un changement dans les habitudes de ta mère, ce changement je l’ai subi moi aussi.
Ta mère est sans emploi et mon maigre salaire de contremaitre ne me permet pas de prendre une servante. Du fait de la grossesse, elle ne pouvait plus rien faire. Alors, j’ai pris la relève de ses tâches domestiques en plus des miennes. Je fais désormais le ménage. Je prépare le petit déjeuner le matin. Je m’assure que ta mère se porte bien et qu’elle n’a pas besoin d’autre chose. Tout ça avant de courir à la zone industrielle transporter des sacs de ciments pour charger un camion de 30 tonnes pour avoir de quoi faire face aux dépenses de la maison, aux caprices de ta mère aussi. Les caprices, elle en a beaucoup.
Elle veut un pot de Yogourt, je cours l’acheter, juste le temps de mon retour elle change et veut plutôt une bouteille de sucrerie, je cours l’acheter. A peine l’ouvre-t-elle qu’elle trouve que le Coca Zéro d’aujourd’hui, qu’elle-même a demandé, n’a plus le même goût que celui d’hier. Mon fils, depuis quand le goût du Coca a-t-il changé ? Partout dans le monde, c’est le même goût ! Je cours acheter du Coca light, quand je reviens, elle lui préfère une bonne bouteille de Fanta cocktail bien glacée… Tout ça ne vaut rien devant son désir de manger un morceau de Pizza bien chaud à 1h du matin. Fiston, j’ai appris à faire beaucoup de choses, mais je ne suis pas pâtissier ! Où trouver ça, à cette heure !? Quand j’essaie de lui expliquer que c’était impossible à cette heure, c’est une foudre qui s’abat sur moi. Je subis tout au nom de mon titre d’homme qui veut que je sois fort. Sais-tu quoi ? La dernière fois, il était 3h45 du matin quand ta mère m’a dit qu’elle voulait que je lui prépare un plat de couscous. Nom de Dieu ! Trainant le poids de la fatigue de la veille après avoir subi les humeurs et lubies d’un supérieur hiérarchique débile, suffisant et plein de morgue, et pensant à ce qui m’attendait le lendemain, j’ai glissé dans la cuisine. Dieu seul sait combien de fois ça été dure pour moi ! Préparer du couscous à 3h du matin, somnolant !? J’ai essayé, cependant, et le sourire aux lèvres pour avoir réussi 1h55 min après à sortir quelque chose, le meilleur plat de ma vie, je lui ai tendu l’assiette. Mais sais-tu quoi ? Au lieu d’un «merci», c’est à une pluie d’injures que j’ai eu droit pour avoir trop tardé, pour avoir mis trop de piment, trop de sel, trop d’huile, en un mot pour lui avoir proposé un plat que même un prisonnier qui avait des toiles d’araignée dans la bouche n’aurait pas accepté de manger. J’ai baissé la tête pour me contenir. J’ai souri et j’ai résisté à la colère, au nom de mon titre d’homme qui voudrait que je sois fort. Ça a continué et ça continue ainsi… Mais je me rassure à l’idée que tu naîtras un jour et que tu me feras oublier tout ces moments.
On a célébré les mères pour leur reconnaitre tout ce qu’elles endurent au cours de ces mois. J’étais là, moi aussi, à cette occasion de célébration. J’ai offert un bouquet de fleur et plusieurs présents à ta mère. Mais sais-tu quoi ? Personne ne se souviendra de la fête des pères. Au mieux, très peu en parleront. Ils ne l’évoqueront que le temps d’une pause café ou en attendant l’arrivée du Bus. Aucun père ne recevra un bouquet de fleur de sa femme, de son fils ou sa fille. En un mot, tout ce que j’ai enduré, toute cette souffrance psychologique et même physique que j’ai enduré et qui continue depuis l’annonce de ta grossesse sera passée sous silence.
Mon fils,
Demain tu naitras. Tu feras ma fierté, celle de ta mère aussi. Je parle de celle qui t’auras porté dans ses entrailles pendant de si longs et pénibles mois, au prix inestimable de plusieurs sacrifices. A ta naissance, elle te couvrira, t’essuiera, te fera à manger. Elle sera là, quand je serai parti chercher le pain quotidien. Peut-être qu’elle ira, elle aussi, lourde de fatigue d’une mère, chercher de quoi subvenir à ses besoins. Elle te donnera ce qu’elle a de plus cher, son amour, son cœur. Prends-en soin en retour. Ne lui fait pas mal. Donne-lui toute l’affection qu’elle mérite. Souviens-toi du jour de ta naissance où elle aurait pu perdre sa vie en te donnant la sienne pour l’honorer. Couvre-la de présents autant que tu en auras les moyens comme tu en feras pour ton épouse. C’est d’ailleurs elle ta première épouse. Elle sait mieux que toi la femme qu’il te faut parce qu’elle sait mieux que toi le type d’homme que tu es. Écoute-la donc dans ton choix de la femme qui partagera ta vie. Si elle t’aime vraiment, elle ne se trompera jamais dans ses conseils. Et je peux t’assurer que ta mère t’aime ! Aime-la en retour. Protège-la. Défend-là jusqu’à ton dernier souffle.
Et quand tu l’auras mise à l’abri de tout, souviens-toi de moi, ton père. Souviens-toi de mes nuits sans sommeils. Souviens-toi de mes corvées pour que ta mère et toi soyez à l’abri du besoin, pour que vous viviez dignement. Souviens-toi des fois où je suis rentré à la maison anéantis par les mépris de mes collègues et de mon patron ainsi que le poids de la fatigue. Souviens-toi des peines que je ressens et dont je n’ose parler à personne dans une société où l’homme est le bourreau.
Mon Fils,
Quand tu naitras, je ne te demande rien de grand, rien de trop. Pas même ton argent, ni quoi d’autre que ce soit qui te couterait si cher. Mais, si je vis, je te demande qu’une seule chose. Soit un modèle en tout ! Que ton comportement fasse parler de moi. Que ton intelligence et ta sagesse te distinguent. Sois un homme, sans être un bourreau.
Si je ne suis plus là et qu’un jour tu venais à en avoir les moyens, construit ma tombe et écris-y ce message : « Ci-gît mon père, un homme qui a survécu avec ses joies et ses peines au sein d’une société qui a voulu qu’il soit le bourreau face à la victime et qu’il a su refuser d’être −un MODELE ! »
Ton Père.
Bonne Fête des Pères à tous les Papa du Monde !
Ps:Toute ressemblance n’est que pure coincidence.
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