Chère Maman,
Quand cette si longue lettre te parviendra, j’aurai mis à exécution une décision importante de vie, en fait, TA décision si chère. Je vais me marier ! OUI, tu as bien lu. J’accepte. Je cède. J’y ai longtemps résisté. J’en ai douté. Mais, aujourd’hui, je me rends compte de l’erreur que j’ai commise d’avoir toujours rejeté cette idée chaque fois qu’elle m’avait effleuré l’esprit, par peur de perdre un centime de ma liberté.
Je voulais sortir et rentrer à l’heure qui me plaît sans n’avoir de compte à rendre à personne. Je voulais n’avoir aucune justification à apporter à personne pour avoir terminé mon coup de fil par « moi aussi ». Je voulais n’avoir à justifier pourquoi Sabine, Sandra, Myriam ou Cassandra m’appelle si fréquemment et même à des heures trop avancées. Je voulais éviter d’avoir à répondre aux questions du type « pourquoi depuis ce matin, tu ne m’as pas appelé ?». Je ne voulais pas avoir à expliquer pourquoi c’est toujours moi qui travaille si tard et de surcroît qu’on envoie si fréquemment en mission. Je voulais n’avoir à être reproché de passer trop de temps devant mon ordinateur. Je voulais en un seul mot jouir des prérogatives de ma liberté. Mais je ne sais plus trop pourquoi, depuis des semaines l’idée me taillade l’esprit. Ce matin, par exemple, je me suis levé avec le sourire aux lèvres, sans trop savoir pourquoi. J’ai pris ma douche, suis sorti et suis arrivé au bureau en fredonnant des chansons magnifiant l’amour. Des titres de White T’s, Usher, Chris de Burgh et bien d’autres ont fait le défilé. Sans trop savoir pourquoi ni avec quelles inspirations, j’ai épuisé mes tâches journalières avec célérité et à l’heure de ma pause, j’ai eu l’envie d’écrire un billet de blog. Plusieurs sujets se sont chevauchés dans ma tête.
J’ai entamé un billet pour répondre à ceux qui en veulent aux dirigeants marocains d’avoir mis en avant la santé de leur population au détriment d’une CAN dont le refus de report est fondée sur des calculs purement pécuniaires. J’ai écrit quelques lignes d’un autre pour dire au peuple burkinabè que s’il lui a fallu un effort pour faire sa révolution, il lui en faudra deux, peut-être trois pour gérer l’après-révolution. J’ai écrit deux paragraphes d’un dernier billet pour dire au pouvoir d’Abidjan qu’il ne suffit pas de réunir les hommes en bottes dans une salle et se contenter de leurs déclarations mielleuses pour penser qu’on a la maitrise des choses, parce que quand ils sauront que cette voie explorée est la meilleure pour obtenir gain de cause, demain, ils n’hésiterons pas à l’emprunter pour d’autres besoins surtout qu’ils détiennent encore les armes. Qui sait si cette fois sera moins maitrisable. Ne l’espérons pas. J’ai écrit tout ça, puis après quelques lignes, j’ai perdu toute inspiration au profit d’une lettre pour te dire que ton insistance à eu raison de ma persistance !
Chère Maman,
Oui, je me marierai. Non pas uniquement pour te faire plaisir, ni en raison des insistances de mon pasteur, encore moins parce que lasse d’avoir à répondre aux questions de mes amis et de mes proches qui tiennent à savoir quand et avec qui ; non par effet de mode ni parce que mon ami Grégoire, oui, le même Grégoire que tu connais avec son crâne digne d’un ballon de rugby sur lequel sont rangées des narines aussi gigantesques que des échappements d’une raffinerie de Pétrole au Nigéria, s’est marié à Mélissa il y a une semaine et qu’ils semblent vivre heureux; non pas parce que je me suis senti frustré d’avoir été traité de « jeune-homme » au cours d’une réunion où j’étais le seul autour de la table à l’annulaire de qui ne scintillait aucun anneau, quoique n’étant pas le plus jeune ; non pas enfin du fait du pincement que je ressent chaque fois que je consulte mon bulletin de paie et constate qu’on me prélève plus que mon collègue parce que je suis célibataire donc supposé n’ayant pas de charges. Bande de psychopathes, qu’en savez-vous ? Mais, je le ferai parce que, tu me l’a toujours répété et je pense que tu as en partie raison, le mariage confère à l’homme davantage de responsabilités et de stabilités, bien sûr quand c’est avec une femme aussi belle, intelligente, ambitieuse que vertueuse. Et pour çà, il faut du courage, de la maturité en plus d’être soit même intelligent. C’est bizard que je me sens si subitement prêt non sans ignorer les risques qui m’y attendent de sacrifice parfois au-delà de la raison à faire pour y arriver.
Maman, dis à papa, que je me marierai. Il n’en sera pas moins heureux. Lui qui me talonne chaque fois en vantant les avantages du mariage croyant naïvement que tous les hommes ont la chance de croiser des femmes aussi spéciales que tu l’es.
Dis à Papa que, marié, je suivrai vos conseils. J’aimerai mon épouse. Je prendrai soin d’elle. Je l’accompagnerai au salon pour ses cheveux, au super marché pour des achats le weekend. C’est fou que j’aime cette dernière chose. Nous sortirons le weekend quand il le faut pour briser la monotonie. Tu me disais qu’au bout d’un certain temps, ça devient agaçant d’avoir à vivre avec la même personne et qu’il faut du tact pour gérer cela. Je rentrerai tôt de mes sorties. Je l’encouragerai dans ses prises d’initiatives. Je la suivrai dans ses conférences ou ateliers si elle me le demande et je l’inviterai dans les miens. Je lui parlerai. Je l’écouterai. Je prendrai soin de nos enfants. Je serai heureux de te voir heureuse, en tant que grand-mère, en me voyant heureux en tant que père.
Chère Maman,
Il m’a plu d’anticiper en te le disant pour apaiser ton envie d’une belle-fille. Je sais que tu t’imagines déjà à qui elle ressemblerait, de quelle nationalité elle serait. Serait-elle blanche, métisse ou noir ? Courte ou grande? Fine ou ronde ? Oh non, ne soit pas si pressée ! Un peu de patience, voyons ! Tu la verras. Tu vois, le gamin d’hier a grandi. Il est même devenu Monsieur. Au départ, j’avais du mal à accepter qu’on m’appelle Monsieur. Moi, Monsieur ? Non, vous aussi, je ne suis qu’un gamin ai-je toujours revendiqué.
L’insistance de mes neveux et nièces qui s’obstinent à m’appeler « tonton » alors que mes yeux scintillent toujours face aux bonbons sucettes, aux paquets de Chipsy, de celle de mes collègues de service en passant par le chauffeur qui me descend tous les matins à mon lieu de travail, ont fini par me convaincre que quoique je le veuille, je ne suis plus le gamin tout nu d’hier que tu poursuivais pour le laver.
J’ai bien pris de l’âge. Je suis devenu donc « Monsieur ». Je suis responsable. Je sais choisir. J’ai du goût en plus. Si elle est à ton goût, tant mieux ! Si non, ce serait dommage. Mais elle restera toujours mon choix. Seulement, ce dont tu pourras t’en convaincre déjà, c’est qu’elle sera suffisamment respectueuse pour ne jamais te manquer. Elle sera intelligente et rangée pour ne pas foutre la vie de ton gamin d’il y a quelques années en l’air en une fraction de seconde de vie commune.
Je sais que tu me croiras difficilement. Que tu feras authentifier cette lettre par mon frère aîné, et même par une personne extérieure pour en être convaincue. Fais-en l’économie, c’est bien moi qui t’écris au coin de mon bureau, pêché au 7ème étage d’un de ces immeubles d’Abidjan, où, de ma fenêtre je contemple la beauté de la vie.
Voilà, chère maman, ce que j’avais à te dire pour l’instant. Pour le reste, encore une fois, soit patiente. Ce sera peut-être demain, probablement dans une semaine, éventuellement dans un mois, possiblement dans un, deux ou trois ans, j’avoue que je n’en sais pas plus que toi…, mais ce sera un jour. Un Samedi, pour être le Dimanche matin à l’Eglise, devant Dieu! Ce jour-là, tu seras heureuse parce que tu me verras heureux !
D’où tu te trouves en ce moment, je vois ton cœur s’apaiser et ton visage s’illuminer de ce sourire de chaque fois que tu devrais m’exprimer ta fierté de m’avoir comme ton fils.
Ton Fils,
Jeriel Angenor BEHIBLO
Abidjan, le 24 Novembre 2014
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