Au départ ça m’embêtait un peu, puis j’ai fini par m’y habituer et aujourd’hui ça me fait simplement sourire, disons plutôt plaisir, d’avoir à justifier ma nationalité du fait de mon prénom Bela/Bella.
Certains me disent Burkinabè. C’est une chance d’être des hommes intègres. Un pays de gens qui savent vivre avec peu. C’est au Burkina que j’ai compris réellement que l’on n’a pas nécessairement besoin d’être Djangoté, Bill Gates ou Kanazoé pour vivre heureux. Je me souviens encore de cette famille qui habitait près du Kiosque à café où je prenais mon petit déjeuné les matins. Ne vous y méprenez pas, il n’existait pas que des pauvres au Burkina. Il y en a de très riches, trop riches, de moyennement riches, trop moyennement riches et de pauvres, trop pauvres. La situation de cette famille saute juste aux yeux et choque la sensibilité. Une famille qui vivait dans une cour que par pudeur et par respect pour elle je ne qualifierais pas, de surcroît avec son âne qui brayait toute la nuit sans doute parce que lasse des corvées du jour et affamé au couché, mais qui vivait heureuse !
J’ai réalisé la justesse de cette phrase de la Bruyère qui dit qu’« il y a une espèce de honte d’être heureux à la vue de certaines misères ». Chaque matin, je rend grâce à Dieu pour le minimum nécessaire qu’il me donne. Je regrette de n’avoir pas eu les moyens pour accompagner mes sentiments pour cette famille en lui offrant ne serait-ce que des vivres -au moins une fois.
J’éprouve une forte nausée en écoutant Blaise Compaoré et son équipe s’entêter à instituer un Senat tout aussi budgétivore qu’inutile pour faire le travail que fait déjà très bien l’Assemblée Nationale pour, disent-ils, le bien des Burkinabè. De quel bien parlons-nous ? Le Budget de ce Senat pourrait servir à construire des logements sociaux pour cette famille ainsi que des millions d’autres vivant dans les mêmes conditions. Pour moi, c’est ça vouloir le bien de son peuple.
Je veux donc être Burkinabè. J’aurais bien aimé l’être. J’aurais aimé être originaire de Fada Ngourma, de Dori, de Tenkodogo, de Koudougou, de Banfora ou de Bobo-Dioulasso. Mais Je n’en ai pas eu la chance. J’ai beau m’appeler Bela, cela ne suffit pas.
D’autres me disent Camerounais. Ils me disent BETI. Le Cameroun, je le dis chaque fois, et toute modestie mise à part, est une chance pour l’Afrique. Rien qu’à voir la qualité de ses ressources humaines. Je n’y ai jamais vécu, c’est vrai, mais j’ai la chance d’avoir de très bons amis camerounais, virtuel comme physique, et ce que je retiens d’eux, dans l’ensemble, est plutôt positif. Le camerounais, pour être plus généraliste, est doté d’une intelligence remarquable. Ils excellent en tout. De la littérature à la musique en passant par le Foot. Il en a été ainsi depuis toujours. On parlera de Samuel Eto Fils aussi longtemps qu’on parlera d’Albert Roger Mooh Miller dit Roger Milla, d’Adolphe Claude Alexandre MOUNDI ou « Petit-Pays », « The King of Makossa Love » que de Bella Njoh avec son célèbre titre « Mambo Penya« , de Maurice Kamto, cet éminent agrégé de droit et président national du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc) que d’Alexandre Biyidi-Awala plus connu sous le nom de Mongo Beti ou Eza Boto, pour ne citer que ceux-là ̶ quoique peut-être pas appréciés de tous. Le Cameroun et les camerounais ont leur identité propre. Très souvent, l’on leur reproche des vices comme l’orgueil, la démesure et la violence sous toutes ses formes, mais chaque peuple a ses tares. Les Ivoiriens ne sont pas si différents, encore moins les Ethiopiens, Togolais, ou Jamaïcains. Qu’on l’apprécie ou non, on ne peut nier au camerounais tout le talent dont la nature a bien voulu le doté. D’ailleurs, il n’y a que le singe qui, ne pouvant saisir le fruit mûr dans l’arbre trouve qu’il est pourrit, dit l’adage.
Seulement, je n’arrive toujours pas à comprendre comment peut-on être un peuple si construit intellectuellement, si enviable en talent et accepter d’être pris en otage par un homme, pendant plus de trente an. On ne demande pas une révolution par les armes, mais la myriade d’intellectuels que compte le Cameroun aurait été nécessaire pour stimuler un éveil civilisé de la conscience populaire. Pourquoi, pour paraphraser l’autre, les intellectuels camerounais, et par ricochet africains en général ont-ils choisi de se cantonner dans des rôles de pirates de la politique à la recherche de trésors improbables, semant l’angoisse dans les esprits et s’étonnant, étonnamment, de récolter l’apathie? Où sont-ils ? Que font-ils ces cerveaux camerounais pour insuffler l’alternance ? Pourquoi attendre si longtemps ? Est-il si patient, le peuple camerounais ? Bon, qui sait si j’exagère dans tout ce que je raconte. De toutes les façons, « Pour mesurer le courage de la brochette sur le feu, il faut lui substituer son doigt », dit-on chez moi. Les camerounais sont peut-être conscients de ce qu’ils vivent de pénible, mais préfère ça à la guerre, et là, ils ont raison.
Je veux donc être camerounais. Je veux bien être BETI. Il se raconte que le nom Beti dériverait de nti dont il constitue le pluriel, nti signifiant seigneur. Les Beti sont donc une société de seigneurs. Que ce devrait être si beau et si noble d’être un digne fils des BETI, des seigneurs. Peu importe que je sois Etons (Lékié), Ewondos (Mfoundi), Bulus (Ebolowa, Sangmélima), Mvélés (Sanaga), ou Bene (Nyong), pourvu que je sois BETI. D’ailleurs l’histoire des Beti ressemble à une exception près à celle des Baoulé, mon groupe ethnique en Côte d’Ivoire. Tout comme la Reine Abla Pokou aurait donné son fils unique pour que les crocodiles forment un pont permettant au peuple Baoulé, fuyant l’ennemi, de traverser la rivière, un aïeul Etoudi, Touràssé aurait fait des rites et des incantations et frappé le fleuve avec sa canne pour voir apparaître sur son lit un immense serpent qui aurait permis par la suite aux milliers de fils Etoudi et bien d’autres peuples Bétis de traverser la rivière. Voyez-vous ! Les Betis, c’est surtout une société à caractère égalitaire au point où par le passé, il n’y avait pas de chef hormis le Chef spirtuel, le Zomloa, ou l’Asouza, s’il s’agissait d’une femme. Quoi de plus noble donc que d’appartenir à un tel groupe! Mais Beti, je ne le suis pas.
Beti, si j’avais été, avec le sang guerrier qui me coulerait dans les veines, un matin, après les incantations à l’image de notre aïeul, je sortirais de chez moi, bomberais la poitrine mieux qu’un moineau et je crierais à ceux qui oseraient se mettre sur mon chemin: « dégagez, bande de fainéants, voici qu’arrive un honnête citoyen camerounais, un vaillant Beti, pour libérer son peuple!». J’irais tout droit au palais de l’Unité surprendre Biya pendant qu’il reposerait dans les bras de Chantal, et droit dans les yeux, en présence de ses gardes prêts à m’exploser avec leurs roquettes, je lui dirais : « Président, tout le Peuple BETI te dis merci d’avoir accepté l’appel de Dieu en étant Président à vie. Même mort, tu vivras ! » et quand j’aurais bien rangé mes billets, à la porte, je lui rappellerais cette sagesse de chez moi, en disant: Président, savez-vous quoi ? « A force de patience et de saindoux, l’éléphant fini par sodomiser le pou » puis je m’en irais sans demander mes restes !
J’aurais aimé pouvoir faire tout ceci. Malheureusement, camerounais, je ne le suis pas, du moins pas pour le moment. Je suis seulement Bella ou Bela, c’est selon. Je suis Ivoirien, originaire de Daoukro, et non de Toumodi, comme me disent également certains ivoiriens. Vous le savez désormais !
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