L’époque où les hommes allaient dans les lieux de culte pour chercher Dieu, le Vrai Dieu; pour implorer Sa Grâce et Sa Miséricorde sur leurs vies, pour Lui demander une place de choix dans Son Royaume, une fois passés de l’autre côté de la vie, semble devenu un bien lointain souvenir. Ceci, non pas parce que les hommes ne croient plus en l’existence d’un Dieu suprême, omnipotent, omniscient et omniprésent. Ils y croient encore, du moins c’est ce que je pense. Mais ces Temps Nouveaux dans lesquels nous vivons avec leurs corollaires de crises économiques, de terrorisme, de guerres civiles et bien d’autres drames qui s’acharnent sur l’humanité ont fragilisé les codes moraux, corrompu les bonnes mœurs, perverti les valeurs sociales et réorienté les intérêts des descendants d’Adam et Eve. Dans les églises, en particulier, sans plonger dans la stigmatisation encore moins dans la diffamation, les actes et les pratiques des fidèles l’illustrent bien –tristement.
Dimanche dernier comme tous les autres dimanches, au lever le matin, j’ai tout laissé, pris mon bain et enfilé ce qui me restait de mieux comme vêtement dans ma valise pour répondre à l’appel de mon Créateur, Lui confesser et supplier Sa rémission de mes pêchés commis, en pensée, par action ou par omission au cours de la semaine écoulée.
Il était 10 h quand le pasteur a pris le micro « pour parler au nom de Dieu ». Jusqu’ici tout se passait bien. La centaine de fidèles dans la salle écoutait, dans un silence cimetière, « l’homme de Dieu » qui, pendant 1 h 30, nous a instruits sur un thème que, même à présent, je me force de comprendre sans y parvenir : « Couvre-feu dans le ciel !». Certains ont souri, d’autres applaudi à l’annonce de ce thème particulier. Mon ami Grégoire qui était à son premier jour d’église m’a demandé d’un air curieux si Al-Qaïda avait réussi à traverser les deux premiers cieux pour semer la terreur au 3e, où siège le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Je l’ai ignoré pour mieux comprendre la révélation derrière ce thème, la Sainte Bible étant par essence faite de paraboles, ce qui la diffère d’ailleurs des œuvres littéraires ordinaires.
A l’autre bout de la salle, un fidèle aussi zélé qu’un nouveau bachelier qui ignore ce que lui réserve la suite de son parcours universitaire a crié « Ameeeennn ! Prêche, Pasteur ! Ils sont vaincus ! ». Toute la salle s’est retournée pour le regarder.
Sereins, nous attendions la révélation derrière le couvre-feu. Pendant 90 min, peut-être un peu plus, nous nous sommes levés, assis, levés, assis… Nous avions dit Amen, Amen très forts ! Crié, crié très fort ! Acclamé, acclamé très fort ! Tout ça pour nous faire entendre de Dieu, sans comprendre à la fin, comment ni pourquoi il y aurait eu un couvre-feu dans le Royaume céleste.
Subitement, du couvre-feu, nous nous sommes retrouvés à la Bénédiction. C’est la partie préférée des fidèles, tout genre compris, mais des femmes en particulier.
A défaut de savoir la raison, la durée, et les conséquences du couvre-feu dans le ciel où tous voudrions y aller, chacun voulait au moins repartir chez soi avec une part de bénédiction. Celle-ci n’est rien d’autre que l’exaucement de son sujet le plus cher à chaque fidèle. Le peuple de Dieu a donc ainsi été invité à se tenir debout, à se coucher, à s’agenouiller, disons à prendre n’importe quelle position d’humilité qui lui conviendrait pour adresser ses prières à Dieu. Il fallait y aller à fond, en battant des mains. Oui, le Royaume de Dieu, nous enseigne le Livre saint, est forcé. Les fainéants n’y accéderont jamais. Je pleure toujours Grégoire, lui qui est la forme humaine de la paresse.
Nous avions prié, prié, priés et prié. Puis soudain l’ordre a été donné de garder le silence. Calme plat ! L’Esprit était là ! Il fallait l’observer, le contempler, se disposer pour le recevoir. D’un cri strident, ma voisine de droite a failli me casser les tympans avant de se retrouver à terre traînant comme une gamine sous la ruée de coups que lui assenait sa mère pour ses inconduites. Une autre a suivi, une autre encore, puis toute la salle s’est mise en ébullition. Les chaises s’envolaient quand elles ne se brisaient pas. Les Smartphones traînaient. Tout ça pendant environ 45 minutes, et quand toute la salle a été délivrée, on est entré dans « un temps de semence ». Oui, il fallait semer la bonne graine.
Les visages ont commencé à se crisper. Dieu, nous a dit l’homme de Dieu, bénit chacun selon ses œuvres. Il fallait donc poser un acte, un acte fort. Semer dans la parole, sceller la délivrance de son âme qui venait d’être faite pour ne plus que ces mauvais esprits y retournent encore. Des mouvements ont commencé à s’observer dans la salle. Subitement, certains avaient eu l’envie d’aller aux toilettes, d’autres mourraient de soif, d’autres devraient s’occuper de leurs enfants. L’homme de Dieu a compris et s’est souvenu d’une formule mathématique toute simple : « Vous savez, mes enfants, a-t-il dit, à l’école on nous a dit 1×1000 =1000, mais 1×0=0. » Les esprits avertis avaient compris, mais seuls quelques fidèles se sont exécutés.
Notre frère en christ zélé, a subitement perdu son zèle et s’est plongé dans une longue prière comme on en fait pour réveiller un cadavre. Puis, l’homme de Dieu s’est souvenu que l’intérêt des fidèles était majoritairement ailleurs. L’approche a donc changé.
-« Faites quatre rangés », a-t-il ordonné :
-Première rangée : « Ceux qui veulent voyager mettez-vous à droite, entendez aller en Europe ou aux Etats-Unis, pas au Burkina ou en Somalie», un quart de la salle.
-Deuxième rangée : « Ceux qui veulent se marier, mettez-vous au milieu », la moitié de la salle dont 90% des femmes.
-Troisième Rangée : « Ceux qui veulent travailler, mettez-vous à gauche », quelques têtes de jeunes délabrés dont la galère s’est donné tant de mal à exterminer.
-Quatrième rangée : « ceux qui veulent avoir la connaissance de Dieu », une jeune fille d’à peine 16 ans, seule. On a tous pouffé de rire pour sa naïveté.
Où croyez-vous que je pouvais me retrouver ? « Travail », bien sûr, puisque celles qui veulent se marier attendent des hommes capables et pour voyager, il faut de l’argent.
Le hic était qu’avant de faire la prière, l’un après l’autre, chaque fidèle devrait semer, en billet, sur un bout de pagne, au vu de tous. Une jeune sœur s’est mise à parler en langue. Le pasteur a ordonné qu’on l’arrête. Elle s’est tue. L’heure était au concret. A bas les esprits malins !
C’est seulement en ce moment que chacun de nous a compris, et même bien compris pourquoi il y avait couvre-feu dans le ciel. Boko Haram a infiltré le royaume céleste et Dieu veut y mettre de l’ordre.
Dès que mon tour est arrivé de semer mon dernier billet de 1000f, j’ai entendu la voix de mon frère me chuchoter à l’oreille: « Emile, réveille-toi, il fait jour, tu vas rester en retard ». Il y a vraiment un Dieu pour les Pauvres, ai-je conclu.
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