Il y a des années de cela, le Bénin répondait présent à l’appel des meilleurs élèves de la classe en matière de démocratie, derrière le Ghana, le Sénégal, le Botswana et la Tanzanie. La stabilité de son régime dont il a su faire figure depuis les années 90 lui a valu le qualificatif de Terre promise du « laboratoire de la démocratie en Afrique ». Mais aujourd’hui tout semble avoir changé, beaucoup changé. L’usure du temps semble avoir eu raison de la démocratie béninoise qui, peu à peu s’effrite. A mesure que les années s’écoulent et que les élections se succèdent, cette démocratie fond comme une boule de neige au soleil. Regard sur une démocratie aujourd’hui mal dans sa peau…
Le règne des « hommes en Bottes »
Le Bénin n’est certes pas la Centrafrique qui nargue tous les pays africains en termes de coups d’Etat. Mais le Bénin ne semble pas non plus l’envier en la matière. En effet, l’histoire du Bénin rime avec une kyrielle de coups d’Etat. C’est le 1er Août 1960 que le Dahomey, devenu Bénin en 1975, a acquis son indépendance sous le règne de M. Hubert Maga. Trois années ! Trois malheureuses petites années ! Voici le temps qu’il a fallu au peuple dahoméen pour savourer le goût délicieux de la liberté, de la libération du joug colonial. Ce peuple « affranchi » n’avait pas encore fini de chanter et danser au son de l’indépendance quant un matin de 1963 survint le premier coup d’Etat. Tout est parti de revendications salariales qui ont poussé Hubert Maga à solliciter l’intervention de l’armée pour rétablir l’ordre. Mais, ″le problème avec les militaires, est que vous les appelez parce que vous en avez besoin. Mais ils s’apercevront que le pouvoir est très facile à prendre quand on a la force. Et, demain, ils interviendront sans que vous les appeliez. », remarque Emile Derlin Zinsou qui fut Président du Bénin de 1968 à 1969. Cet appel à l’intervention de l’armée ouvre ainsi la boîte de Pandore et aura suffi au général Christophe Soglo, chef d’état-major, pour inaugurer, le 28 octobre 1963, la série des coups d’État.
De 1963 à 1972, le Dahomey a connu sept coups d’Etat militaires sans compter les tentatives avortées ! Les principaux auteurs sont, nommément cités, Christophe Soglo (1963 puis 1965), Maurice Kouandété (1967 puis 1969), Alphonse Amadou Alley (1967), Paul-Émile de Souza (1969) et Mathieu Kérékou (1972). Pendant environ une décennie, la classe politique et le peuple du Dahomey, dans leur ensemble, ont été pris en otage par une armée indisciplinée, mal organisée et surtout divisée en clans.
Dans la foulée de ces coups d’Etats, les dirigeants béninois ont marché à tâtons sur la voie de la quête de solutions pour stabiliser le pays. Pour cela, ils ont essayé plusieurs expériences politiques. D’abord, ils optent pour le régime parlementaire, puis présidentiel, puis encore présidence bicéphale, avant d’adopter le système triumvirat instauré au premier semestre de l’année 1970. Celui-ci consistait en une présidence tournante dont le seul but était de satisfaire les egos de tous les acteurs. L’échec de ce dernier « plan Marshal » entraînera l’instauration d’un régime militaire (avec un gouvernement tantôt civil, tantôt 100% militaire). A ce dernier a succédé une élection présidentielle au suffrage universel. Toutes ces tentatives furent sans succès ! Le mal était plus profond qu’il ne semblait l’être.
Parmi les causes, celles qui apparaissaient les plus évidentes et les plus coriaces étaient l’ethnicisation et surtout la très forte régionalisation de la vie politique. La démarche politique de chaque leader politique était fortement conditionnée par ce régionalisme ou ce tribalisme plutôt nocif. La lutte pour la domination ou le contrôle ethnique ou régional fit rage entre Hubert Maga « l’homme du Nord », Sourou Migan Apithy, « l’homme du Sud » et Justin Ahomadegbé « l’homme du Centre-Sud ». Toute cette cacophonie donna lieu à un changement régulier de Constitution dont trois en seulement huit ans.
Il n’était pas, lui, le dernier des Mohicans, mais des faiseurs de coups d’Etat. Lui, c’était Mathieu Kérékou, celui que l’on surnomma le « Caméléon » à la baraka…
Le « Caméléon » à la baraka et le règne du marxisme-léninisme
Mathieu Kérékou est né le 2 Septembre 1933 à Kourfa non loin de Natitingou au Bénin. Son parcours scolaire fut sommaire. En 1953, il s’engagea plutôt comme volontaire au sein des enfants de troupe et étudia l’art militaire dans différents pays africains dont le Mali et le Sénégal d’où il sort comme sous officier. Brillant militaire, Kérékou servit d’abord dans l’armée française puis dans l’armée du Dahomey où il fut promu major. Il acheva sa carrière militaire avec le grade de Général. Un jour d’Octobre 1972, alors qu’il n’avait que 39 ans, le jeune commandant Kérékou, aidé de deux autres officiers, accéda au pouvoir par la force. Dans la première moitié de ses 27 ans de mandat, Kérékou épousa l’idéologie Marxiste-Leniniste.
Le Marxisme-Leninisme est une idéologie communiste et une philosophie politique officiellement basée sur les théories de Karl Marx, Friedrich Engels et Vladimir Lenin. Il vise à promouvoir la création et le développement d’une société communiste internationale par le leadership d’un parti à la tête d’un Etat socialiste révolutionnaire représentant la dictature du prolétariat. C’est en un mot, une idéologie d’extrême droite anti-bourgeoise, anti-capitaliste, anti-conservatrice, anti-fasciste, anti-impérialiste, anti-libérale, anti-réactionnaire et opposée à la démocratie bourgeoise.
Son surnom, « le Caméléon », Kérékou le tient de la devise dont il a fait sienne du Roi Houessou Akaba dont le règne dura de 1685 à 1708 : «Quand le phacochère regarde vers le ciel, il se fait égorger. Lentement, doucement, le caméléon atteint la cime du fromager». Kérékou qui ne voulait pas se faire égorger comme un phacochère, opta alors pour l’emblème du caméléon à qui tout réussissait à force de persévérance, d’où le terme « la baraka » qui veut dire « la bénédiction ». Le Caméléon à la baraka réussit à asseoir son pouvoir sans difficulté majeure. Kérékou était aimé jusqu’à l’adoration. Pour ses partisans, il était « un vrai patriote ; un prophète ; un sauveur », en un mot, « un chef exemplaire » caractérisé par « un sens élevé de générosité ». Mais il était aussi détesté jusqu’à la diabolisation. Ses adversaires, eux, évoquaient l’intensification du régionalisme et le règne de l’autoritarisme sous son règne. Pour traduire leur aversion au marxisme-léninisme, les Béninois ne manquaient pas d’approches. Avec humour, ils l’avaient baptisé «le laxisme-béninisme».
Nonobstant les critiques de ces détracteurs, le marxisme-léninisme à la touche Kérékou semblait fonctionner jusqu’à ce que, confrontés à la vie chère, des citoyens téméraires se lancent dans la contestation ouverte dès 1979. Le Caméléon réussit à contenir les mouvements de colère mais pas indéfiniment. En 1985, ceux-ci prirent de l’ampleur de même qu’en 1989, obligeant ainsi Kérékou, après 17 ans, à proclamer officiellement le 7 décembre 1989, la fin du marxisme-léninisme. Positivement ou négativement, Kérékou aura marqué la vie politique du Bénin. Si aujourd’hui il est difficile de parler de la démocratie béninoise sans parler du Caméléon, c’est pour ses actions à la tête de l’Etat durant ses mandats dans ses différentes postures de militaire et de civil. Mais c’est surtout pour la grandeur dont il a su faire preuve en favorisant le transfert pacifique du pouvoir à l’issue des élections présidentielles de 1990 qui marquent le départ de cette jeune démocratie.
A suivre…
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