La nature, on peut le dire, n’a pas favorisé le Burkina Faso. Un pays enclavé. Un climat rude. Un sous sol pauvre. Voici quelques mots qui, sauf exagération, décriraient mieux le pays de la Reine du Yénéga. Cependant, elle a doté le peuple Burkinabè d’une qualité dont il s’en sert pour s’opposer à ses caprices, c’est-à-dire le courage. Grâce à ce courage et aux efforts conjugués de tous, le petit poucet répond toujours présent au rendez-vous des grands. Le pays des hommes dits intègres offre aujourd’hui de multiples manifestations et un grand nombre de salons (SIAO, FESPACO…). Il s’y passe toujours quelque chose de bien et de beau, été comme hiver. N’en déplaise aux esprits chagrins.
Toutefois, comme un volcan, ceci n’est qu’apparence. Le peuple Burkinabè est rongé jusqu’aux os par des maux qui ont pour nom le chômage, la pauvreté, la mauvaise couverture sanitaire, l’insuffisance des infrastructures scolaires etc. C’est dans un Burkina Faso où tout apparait comme une priorité ; où le citoyen lambda semble maudire chaque nouveau jour qui se lève avec son cortège de défis de plus en plus difficiles à affronter que le géant de Ouagadougou, SEM Blaise Compaoré annonce la création d’un Sénat −honteusement superflu !
Ce sont au total quatre vingt neuf (89) personnes qui siégeront dans ce Senat. Parmi eux, 29 seront nommés directement par le Président LUI-MEME. La thèse du souci de récompenser des anciens amis de lutte trouve ici ses racines. Le soulèvement populaire des Burkinabè depuis l’annonce de la création de cette institution n’a jusqu’ici pas suffit pour changé la détermination du locataire du Kosiam d’aller jusqu’au bout. Pas même l’appel à y renoncer lancé par l’église catholique. Jusqu’où ira Blaise ? Bien mâlin qui pourra y répondre.
Quand un individu est sûr de lui, les contestations les plus bruyantes ne peuvent le faire reculer. Elles ne provoquent au contraire que dédain. L’expression pour traduire cette attitude est : « le chien aboie et la caravane passe ». D’origine arabe, cette expression s’emploie notamment pour parler d’un individu qui fait semblant de ne pas être atteint par une insulte ou une critique quelconque. C’est ce dont semble faire preuve le désormais “médiateur de l’Afrique de l’Ouest” et son administration qui font la sourde oreille face à la contestation générale du peuple Burkinabè. Créer un Sénat, aussi budgétivore qu’inutile dans la situation actuelle d’un pays qui dépend à environ 80% de l’aide extérieure ne relève que de la fantaisie a défaut d’être un manque d’éclairage politique ou l’expression de l’éloignement de l’exécutif de son peuple au point de ne pas connaitre les vrais besoins de celui-ci. Le Burkinabè actuel a besoin de tout sauf d’une institution comme le Sénat. Et cela, même ceux qui depuis le sommet soutiennent ce projet le savent si ce n’est parce qu’obnubilés par cette passion égoïste de vouloir toujours se voir gratifier des postes qui leurs permettraient de s’empiffrer narguant le ventre creux du dernier des Goumantchê au fin fond de Fada N’Gourma.
Si les populations se révoltent contre la création d’un Sénat, c’est simplement parce qu’ils n’en ont que dalle ! Ce qu’attendent les populations de Djibo ou de Dori, c’est de l’eau potable, pas un Sénat. Les populations de Koupéla, Garango ou de Tenkodogo demandent des instituteurs bien formés et des infrastructures scolaires qui portent leurs noms pour leurs enfants, pas un Sénat. Celles de Koudougou ou de Dédougou, de Kaya ou de Banfora ont juste besoin d’infrastructures sanitaires bien équipés et des médecins qualifiés et bien payés, pas d’un Sénat.
Les habitants de Ouagadougou aimeraient, eux aussi, aller et revenir du travail habillés en des tenues blanches sans crainte d’être rougis par la poussière que dégagent les véhicules sur les voies non bitumées. Ils demandent surtout à sortir la nuit, marcher le long des rues de Goughin ou de Paglayiri, de Songnaaba ou de Pissy sans avoir besoin d’une torche pour s’éclairer le passage par manque de lampadaire. Voici certains de leurs besoins, et non un Sénat qui, même si sa création n’est pas anticonstitutionnelle, relève d’une extrême inutilité –en ce moment. Ceci pour la simple et bonne raison que le rôle qui lui est dévolu est bien assumé par l’Assemblée Nationale. Si tant est que celle-ci n’est pas à la hauteur de sa mission, ce qu’il faut, c’est renforcer les capacités des élus et du personnel du parlement ; c’est mettre à leur disposition les moyens aussi bien techniques, matériels que financiers.
Si l’ultime but de la création de cette institution est de servir le peuple, ce qu’il faut, c’est asseoir une politique de décentralisation cohérente et moins complaisante qui se traduit par une autonomisation vraie de chaque entité décentralisée. Ceci de sorte à ce que n’ayant pas les mains liées et moins dépendantes des allocations budgétaires de l’Etat central, celles-ci élaborent et mettent en œuvre des projets qui répondent aux priorités de leurs localités. Il en va de même pour les services déconcentrés de l’Etat dont il faut renforcer les ressources matérielles et financières.
Ce ne sont ni les institutions ni les compétences pour mettre en œuvre les plans de développement qui manquent. Ce qui pose problème c’est cette tendance des pouvoirs publics à perdre de vue l’essentiel, disons les vrais besoins des populations. C’est surtout la mauvaise répartition des ressources disponibles et l’application sans conviction des mesures repressives de lutte contre la corruption. C’est enfin cette fébrilité qui frise même la complicité avec laquelle le gouvernement aborde l’épineux problème de l’accaparement des terres dans un pays où l’agriculture occupe plus de 80% de la population.
Il est donc superflu de vouloir rassembler une bande d’individus plus proches de la tombe que des réalités de la masse populaire au sein d’une association qui ne servira que de caisse de résonnance pour distraire le peuple et faire de la figuration d’un genre nouveau. Ceci reviendrait à narguer cette misère que portent, lourdement mais dignement ces hommes et ces femmes sur leurs dos carapacés par un soleil déterminé à en découdre avec chacun d’eux sur la route du progrès.
Ce n’est pas de la multiplicité des institutions que prendra forme le rêve d’un pays émergent à l’horizon 2020, 25 ou 40, peu importe, mais du renforcement de la crédibilité et la compétence de celles qui existent de sorte à ce que chaque citoyen s’y reconnaisse. Ces institutions serviront ainsi de bases pour transformer l’actuelle démocratie débridée à l’arrière goût de dictature en une démocratie vraie c’est-à-dire fondée sur la promotion, le respect et la défense des droits de l’homme. C’est seulement à ce titre que le dinosaure du Faso, arrivé au devant de la scène politique Burkinabè par la petite porte, s’en tirera par la grande et marquera à jamais la conscience des Burkinabè. L’histoire le lui reconnaîtra.
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