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Mali : des élections à tout prix maintenant !?

Credit Image: iinanews.com
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Dans toutes les démocraties qui se respectent, les élections, loin d’être une option, se veulent une obligation. Cela dans la mesure où elles permettent :

-d’assurer l’alternance politique, comprise ici dans le sens d’un changement aussi bien des hommes que des politiques, à la tête des institutions républicaines ;

-de mettre en place des institutions crédibles qui jouissent d’une légalité que leur confère la loi fondamentale dont s’est dotée l’Etat, en l’occurrence la Constitution ;

-de garantir le respect de la voix des citoyens dans le choix des hommes, leurs politiques avec, sensés conduire leurs destinés ; tout ceci dans une approche on ne peut plus libre et transparente exempt de toute velléité de fraude ouvrant la voie à des contestations très souvent meurtrières comme c’est malheureusement le cas dans la plupart des Etats Africains au lendemain des échéances électorales.

Le Mali est un Etat libre et indépendant, d’hommes et de femmes affranchis, capables de décider pour eux et par eux-mêmes ce que sera ou devrait être leur avenir et ceux de leurs générations futures. Le Mali, à l’instar de tous les pays du monde, aspire au développement ; un développement conçut sur la base d’un modèle démocratique inclusif, solide et dynamique qui transcende les considérations triviales et rétrogrades avec pour objectif, entre autres, la protection des libertés individuelles et collectives des citoyens.

Pour ce faire, le Mali ne saurait se dérober au respect du principe fondamental du jeu démocratique, c’est-à-dire l’organisation des élections. Des élections, oui, mais à tout prix maintenant ?  Les conditions pour des élections crédibles, transparentes et ouvertes à tous, capables de refléter les idéaux de la démocratie, sont-elles réunies ?

Répondre par l’affirmative dans le contexte actuel du pays, me semble trop osé. Pour s’en apercevoir, nul n’ait besoin d’être un expert reconnu en matière d’élections. Il suffit simplement de considérer les doutes et réserves émis par les spécialistes, les observateurs nationaux et internationaux de la vie politique malienne.

Premièrement, l’Accord de Ouaga prévoit le « cantonnement » et non le « désarmement » des mouvements rebelles à Kidal. Celui devant faire l’objet d’un accord supplémentaire après les élections. On est en plein dans un jeu de mot qui laisse entrevoir une situation que devra gérer le futur président. Ce qui risque de lui occuper tout son mandat plutôt que de le consacrer à apporter des solutions aux problèmes réels qui ont conduit à la situation actuelle à savoir la paupérisation accrue de la population, le taux élevé du chômage, l’exclusion (fondée ou non), l’inégale répartition des ressources entre le Nord et le Sud du pays etc. Or, aussi longtemps qu’il y aurait des groupes constitués, furent-ils des Djihadistes ou des milices organisées en bandes armées, il serait prétentieux d’envisager une paix durable au Mali. L’idéal aurait été que l’accord de Ouaga obtienne au moins le dépôt des armes par les rebelles pour faire place au dialogue politique. La peur des groupes armés de ne plus disposer de moyens de pression pour faire entendre leurs revendications traduit leur méfiance et la possibilité d’une probable reprise des violences.

La paix n’est pas une option, mais une obligation. On ne saurait donc la marchander ou faire du chantage dans le processus qui y conduit. Il est presqu’inadmissible de discuter de la paix en ayant la main droite sur la table de négociation, prête à signer et la main gauche sous la table tenant le fusil, prête à tirer.

Deuxièmement, en plus de l’armée régulière, il faut déployer l’administration locale et réinstaurer un climat de confiance au sein des principaux acteurs présents : tout ceci en deux semaines ! A côté de cela se pose la question de la sécurisation de la campagne en cours et l’accès des principaux candidats à toutes les localités. Pour atténuer la frayeur que cela occasionne, on brandit l’argument de la présence des forces onusiennes, lesquelles ne disposent d’ailleurs que d’un pouvoir d’interposition.

« Comparaison n’est pas raison », dit-on, mais en faisant un parallèle avec la situation en Côte d’Ivoire, on peut se rendre compte du risque encouru en précipitant ainsi les élections. Le contexte était presqu’identique en Côte d’Ivoire et les points de vue des politiques l’ont emporté sur la réalité du terrain dont la considération attentive et sans complaisance aurait permis de sauver les 3000 vies et plus perdues, suite aux violences qui ont émaillé la période à l’issue des élections de 2010.

Troisièmement, ils sont plusieurs milliers de maliens qui vivent contraints par la force des armes en dehors des frontières du pays pour la plupart dans des camps de réfugiés dans des conditions non moins dégradantes. Dans l’hypothèse que certains veuillent retourner chez eux pour prendre part à ces élections, ils ne disposent d’aucuns moyens, d’autres n’ont plus de domicile. Que fait-on de leurs droits de vote ? Qu’adviendra-t-il lorsque ceux-là seront de retour et se verront « imposer » des leaders qu’ils n’auront pas choisi ? L’Accord de Ouaga, cette panacée qu’on oblige le citoyen lambda a admettre pour des élections qui sauveraient le Mali, se veut muette sur la question.

Il est évident qu’on ne saurait attendre une normalisation à « 100 pour 100 » de la situation sur toute l’étendue du territoire avant la tenue des élections, mais vu l’importance des questions sus-évoquées, il aurait été moins risqué de les aborder sans complaisance. Cela, afin d’éviter la tenue d’élections précipitées et de prévenir ainsi le spectre de l’auto-proclamation qui plane sur ces élections, susceptibles de déboucher sur d’éventuelles violences postélectorales qui, sans le souhaiter, pourraient causer l’enlisement de la situation actuelle de méfiance entre les parties opposées et précipiter le pays dans un chaos aux conséquences imprévisibles.

Mais « au nom de la démocratie », il faut aller aux élections −à tout prix maintenant.

Pourquoi cet acharnement, on oserait dire, de la communauté dite internationale sur le Mali, pour l’organisation d’élections dans des conditions aussi vulnérables que celles-ci ?

Au nom du principe de la solidarité internationale, tous les amis du Mali se sont mobilisés, certains en donnant des moyens matériels, d’autres des moyens financiers, d’autres  encore des moyens humains ou tout à la fois, pour “maintenir un ami en vie”.

Mais faut-il, au nom de cette solidarité, contraindre la coquette en état de grossesse à accoucher avant qu’elle ne soit à terme, même par césarienne en étant conscient des risques auxquels cela l’expose ? On n’est pas loin, là, d’un chantage à peine voilé qui traduit une assistance intéressée. Mais quand on n’est pas capable de gagner une guerre par les armes pour défendre son image d’Etat souverain, on peut s’attendre logiquement à subir le diktat de celui ou ceux à qui nous devons notre existence. La signature presque forcée d’un accord aux termes flous et l’acceptation malgré soi d’organiser des élections aux issues incertaines sont la manifestation de ce diktat.

Peu importe où que des élections, MAINTENANT, puissent te conduire, tais-toi, peuple malien, et rend-toi aux urnes −au nom de la démocratie− pourvue que cela ressemble à une élection, même bâclée !

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Auteur·e

bela

Commentaires

Emile Bela
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Vos mots pour le dire ici!

Michel THERA
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"Peu importe où que des élections, MAINTENANT, puissent te conduire, tais-toi, peuple malien, et rend-toi aux urnes −au nom de la démocratie− pourvue que cela ressemble à une élection, même bâclée !" Voilà que toi mime Emile conclut excellemment ton propos. Il ne nous reste plus qu'a croiser les doigts et prier fort pour que ces élections ne fassent sombrer le pays dans un chaos post-électoral à l'ivoirienne.

Emile Bela
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Mon Cher Michel,
Dommage que le Mali traverse cette situation bien malheureuse et que ses authorités ne soient pas capables de réagir...
Vivement la paix au Mali!!

pawel
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Salut cher Emile
merci pour ton texte - très encouragent - et surtout que les élections se sont bien passées. Tu écris "Le contexte était presqu’identique en Côte d’Ivoire..." - j'ai vécu un peu les deux situations et je vois pas clairement de quoi tu fais allusion - donc send me some explications brother. Take care.

Emile Bela
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Salut Cher Pawel,
C'est super de t'avoir ici.
Ce que j'entend par contexte identique c'est le fait que nous allions aux élections alors que le pays est toujours divisé, que nous allions aux élections pendant que des hommes détiennent illégalement des armes dont ils peuvent s'en servir à n'importe quel moment... c'était le risque, ou du moins les erreurs encourues par les autorités ivoiriennes et ceux qui les y ont accompagnés et l résultats on le connais.

Le Mali n'est pas la Côte d'Ivoire donc ce qui est vrai en Côte d'Ivoire peut ne pas l'être au Mali, certes, mais il faut savoir tirer les léçons des situations déjà vécues pour éviter le cahos.

J'espère t'avoir répondu.

Merci d'être passé et Abientôt pour un nouveau billet.

Amitiés