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Et si l’Ivoirien était masochiste et fier de l’être ?

Scène de Violence pos-électorale à Koumassi, AbidjanCrédit Image: Educarrière.ci
Scène de violence pos-électorale à Koumassi, Abidjan
(Crédit Image: Educarrière.ci)

Ça  y est. On pouvait s’y attendre. On y est. Toujours le même contexte, les élections. Toujours les mêmes approches, la contestation des résultats. Toujours les mêmes pratiques, la violence. Toujours les mêmes conséquences, blessés et destructions de biens matériels.

Pour la troisième fois en moins de cinq ans, les Ivoiriens ont été appelés aux urnes pour dire adieu aux armes. Passé le deuil des trois milles morts qui ont suivis les élections présidentielles de 2010, les contestations émaillées de violence qui ont suivies les élections législatives de 2011, on s’attendait à ce que les ivoiriens surprennent le monde entier par des élections transparentes, crédibles et sans violences.

Ils étaient nombreux qui, comme moi, y ont trop vite cru. Imbus de naïveté, nous avons cru en la prise de conscience des ivoiriens et leur capacité à tirer les leçons du passé : « A moins que les Ivoiriens ne soient des masochistes, ils ne mettront plus leurs vies en puéril pour un homme politique. Ils sauront qu’il n’en vaut vraiment pas la peine. Pas la peine d’encourager leurs enfants, de pousser leurs femmes ou de sacrifier eux-mêmes leurs vies sur l’autel des désirs démesurés et des ambitions irréalistes des gens qui ne pensent qu’à leurs seules personnes », avons-nous clamé noyé dans notre orgueil.

Mon ami Narcisse disait ne pas comprendre pourquoi nonobstant les humiliations que font subir les joueurs de l’équipe nationale de football aux supporters Ivoiriens eu égard à leurs forfaitures répétées lors des grandes compétitions, ceux-là s’évertuent à leur accorder leurs soutiens pendant chaque Coupe d’Afrique des Nations (CAN). Cela, au point qu’un jour, il a soutenu que « le jour où sera instaurée la médaille du ‘sportif le plus masochiste’ aux Jeux Olympiques, aucun pays au monde ne pourra tenir tête à un Ivoirien. Parce que si tous les Brésiliens sont des footballeurs nés, les Jamaïcains, des athlètes nés, les ivoiriens, eux, sont un peuple si digne, si fier, si hospitalier, mais… des masochistes nés.» Je me suis marré mais je crois que je commence à comprendre ce qu’il insinuait. 

Comment après tout ce que nous avons vécu et dont nous peinons à panser les blessures par le biais d’une commission nationale chargée de la réconciliation −ombre d’elle-même−, puisse-t-il y avoir encore des ivoiriens qui n’aient pas compris qu’une élection n’est qu’un jeu, disons une compétition, et que, comme telle, tous ne peuvent pas être admis sauf les plus méritants ? Comment puisse-t-il y avoir encore des ivoiriens qui n’aient pas encore compris que l’équation ‘élection = violence’ n’avait un sens qu’en Afrique et plus, en Côte d’ivoire ? Comment font-ils, ces ivoiriens, pour ne pas voir leur voisin, le Ghana, exhiber aux yeux du monde entier sa grandeur par l’organisation d’élections exemptes de toutes violences ?  Les expressions ‘élections sans violence’ et les mots ‘démocratie’ et ‘paix’ sont peut-être employées en anglais au Ghana, les ivoiriens, eux, sont francophones −soit. Mais, si tant est qu’ils ne les comprennent pas en anglais, auraient-ils perdu leur français pour ne pas les comprendre dans le français parlé par le Sénégal ?

Il n’y a que le masochisme qui puisse conduire à cela. Et masochistes, les ivoiriens semblent l’être, et apparemment fiers de l’être.

Le masochiste, en fait, est comme un serpent à double têtes. Coupez la première, il s’en fuira avec la seconde.

En 2012, au lendemain des élections présidentielles au Sénégal, mon ami Mame More à qui j’adressais des mots de félicitations pour le calme dans lequel se sont déroulées leurs élections, m’a répondu en ces termes : «Tu sais Emile, le Sénégal est l’un des pays où le peuple est plus mâture que ses hommes politiques». Cette phrase chargée de sens m’a longtemps fait réfléchir. En faisant le rapprochement, j’ai juste compris que les ivoiriens sont certes mâtures mais d’une autre façon.

Les législatives se sont déroulées. Des candidats qui ne pensent qu’à leurs seules et uniques personnes ont criés à la fraude. La Cours Constitutionnelle a annulé le vote dans plusieurs localités. Par deux reprises, le vote a été repris par endroits pour aboutir aux mêmes résultats. L’argent du contribuable ivoirien a été pour une fois de plus dilapidé pendant que le peuple croule sous le poids insupportable de la cherté de la vie, de la misère en un mot.

Le front social boue en ce moment. Des enseignants ont été privés de leurs salaires. Les plus infortunés ont été contraints à ériger domicile en prison désertant ainsi ce qui leur sert de maison que, de toute façon, ils n’arrivaient plus à payer. Leur seul crime qui leur vaut de partager les mêmes cellules que les grands bandits était d’avoir revendiqué un traitement à peu près proportionnel au sacrifice qu’ils consentent depuis des années pour transmettre leur savoir, acquis à la sueur de leur front, à la jeune génération de demain, même s’il faut le reconnaître tout de même, ils en font un peu trop.

Voici que les élections couplées, municipales et régionales viennent de s’achever. Comme il fallait s’y attendre, le refrain est entonné. «On m’a volé ma victoire ! ». Conséquence, on enregistre des actes de vandalisme dans certaines communes d’Abidjan et de l’intérieur du pays.

Quand un candidat aux élections municipales promet aux populations qu’il construira, seulement en cinq ans, trois entreprises qui embaucheront 2 millions de personnes alors que la population totale de sa circonscription ne dépasse pas 300. 000 habitants ; quand il leur promet de bitumer les voies jusque devant leurs portes et que celles-ci, flattées, applaudissent plutôt en guise de moquerie puisqu’elles savent que ce dernier raconte des âneries; quand il promet mettre de l’ordre dans sa commune et que son cortège de campagne brûle les feux tricolores, quand il jure de rendre sa commune propre et que deux jours après son meeting de campagne, la place reste couverte de tas d’ordures, pourquoi s’étonne-t-il d’avoir perdu les élections ? Pourquoi, rien que pour aider à satisfaire ses désirs mesquins et égoïstes inassouvis, faut-il sacrifier l’argent du contribuable ?

Il peut arriver que par pure machination, un candidat perde l’élection alors qu’il l’a remportée. C’est possible. Mais, cela suffit-il pour pousser ces gens à la violence dans un pays si fragile ? Si ce n’est l’expression de cet égoïsme. Dommage que ceux qui sont au devant ne comprennent pas que celui qu’ils défendent leur fait croire qu’il les aime, mais pas plus qu’il s’aime lui-même et les siens. Sinon, il aurait compris qu’un mandat ne dure que cinq ans et qu’il pouvait se retirer et mieux s’organiser pour revenir de plus belle manière pour servir ce peuple qu’il aime.

Le masochisme a un prix, et les Ivoiriens le paieront peut-être jusqu’à la dernière goutte de leur sang. Car, masochistes, ils semblent bien l’être, et visiblement fiers de l’être. Heureusement qu’ils ne le sont pas tous.

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Auteur·e

bela

Commentaires

Boukari Ouédraogo
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On m'a vole ma victoire ainsi naissent les violences. J'espere que cela n'entachera pas le renouveau de la RCI

emile
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Mon ami Oued, j'espère vivement moi aussi.
Merci d'être passé.
À bientôt

RitaFlower
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L'ivoirien que moi je connais n'a pas cette culture de la violence à la base.S'il est devenu masochiste et fier de l'etre,il est temps pour mon frère ivoirien de se ressaisir.Passé la période électorale,espérons que le calme revienne petit à petit.Que les coeurs et les esprits s'apaisent enfin pour le bonheur de tous.

emile
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Oui la gtande Soeur Ri ta,
Tu sais, nous avons toujours considéré l'ivoirien comme un réédita ! de paix que nous nous laisse surprendre par ce qui est arrivé. Maintenant comme tu le dis il nous faut prier que ces violences disparaissent.
Abientot pour un nouveau billet.

Marc Amand
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Félicitations Emile, ta plume devient plus incisive au fil de tes posts, plus professionnelle, plus mature aussi avec une analyse toujours plus pertinente. Et puis c'est agréable à lire.

Tu sais, je discutais cette semaine avec la Directrice d'une Administration publique en Côte d'Ivoire et nous devisions sur l'environnement des affaires, la Gouvernance, le rôle de l’Administration Publique dans le Développement humain du pays.

On en est arrivé à l'éthique et elle m'a dit que l'éthique chez nous est basée sur l'assistance au plus faible tandis que l'éthique chez ceux qui ont formalisé les droits de l'homme est basée sur le mérite. Chez eux, on naît tous égaux, après chacun se bat pour un objectif commun, le bien-être collectif.

Peut-être devrions-nous réfléchir à notre modèle, effectivement tu as tout à fait raison quand tu illustres le fait que nous ne tirons pas les leçons de notre passé.

Si la problématique est structurelle, il va falloir déconstruire certaines pratiques qui ne sont plus adaptées à notre système globalisé. Et à ce niveau, il y a beaucoup de travail et ça passe par une prise de conscience de la responsabilité individuelle et un gros travail d'influence auquel tu contribues à ton niveau par tes analyses.

Force et courage

Emile
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Merci Monsieur Amand pour vos encouragements.
Je teins en fait tout ça de vous.

Pour le reste, je suis émerveillé par le sujet que vous discutez. Il devrait effectivement y avoir des plateformes, du type de think tanks pour les aborder.
Je serais heureux d'y contribuer.

Abientôt pour un nouveau billet.