Dans les grandes métropoles d’Afrique, en général, le pain constitue l’une des denrées de premières nécessités les plus prisées après le riz. Fabriqué à base de farine soit de soja, de blé ou de mais, il est généralement utilisé pour les petits déjeuners et en grande quantité pendant les mois de jeûnes Chrétien ou Musulman. La forme (courte au Ghana, longue en Côte d’Ivoire) et les appellations «Sugar Bread», «Tea Bread» ou encore «Balta Bread» (au Ghana), «Miche de pain» (au Burkina), «Baguette ou bâton de pain» (en Côte d’Ivoire), diffèrent d’un pays à un autre, mais renvoient toutes à la même denrée.
En Côte d’Ivoire, particulièrement, au-delà de sa large consommation, le pain semble revêtir une symbolique assez spéciale. Pour s’en convaincre, il suffit d’effectuer un voyage d’Abidjan (la capitale) à l’intérieur du pays. Chaque passager ou presque, a son «Pain d’Abidjan». Femmes et hommes s’en disputent aux abords des cars quand les commerçantes elles s’en frottent les mains. Le prix varie de 150 FCFA à 500 F CFA et la taille de 50 cm à 1m.
Il n’y a pas que les voyageurs qui en raffolent car les habitants de mon quartier –Yopougon Selmer et de tout Yopougon en général semblent avoir tissé un lien assez solide avec le pain. Aux abords de la seule «Rue des princes» de seulement un kilomètre, dans mon quartier, j’ai compté sept femmes qui proposent du pain aux passants, cette fois-ci avec des condiments notamment du haricot, de l’avocat, du spaghetti… A des prix allant de 100 Fcfa à 300 Fcfa. A celles-là s’ajoutent les femmes et hommes qui, dès 6h du Matin, dans un sac vide de farine de 50kg ou dans une cuvette, vous proposent leur pain avec le même refrain : « Yaaaa duuu Paiiin Chauuud heeeiin !!». Pain assez «spécial» car sorti du four du boulanger depuis 5h du matin, même jusqu’à 13h, il est dit être « bieeen chaaaud heiiin !! ».
Pour jouir de l’accueil chaleureux des enfants lors de votre visite au village, il ne vous en faut pas plus qu’une à deux « baguettes » ou « miches » -c’est selon- de pain. Les enfants vous distingueront même par cela : «le tonton qui vient avec pain d’Abidjan-là est venu». Vous aurez même de la chance d’être bien reçu si dans votre petit sachet bleu ou dans votre sac vous prenez soin de ranger deux baguettes de pain que vous offrez à votre famille d’accueil à votre arrivée, après qu’on vous ait demandé les nouvelles. Si vos neveux, nièces, cousins ou cousines ; votre tante ou une simple connaissance vous demande, « tu m’as envoyé quoi d’Abidjan ? » elle veut simplement vous demander «et mon pain d’Abidjan ? ». Jusqu’au lendemain matin de votre arrivée, à 8h, on s’attend toujours à ce que vous sortiez le pain. Passé cette heure, la conclusion est tirée : « le tonton-là n’a pas envoyé de pain ». Ne soyez pas surpris d’entendre la tante dans la cuisine murmurer aux enfants, « je vous ais dis votre tonton-là est trop méchant. Même petit pain d’Abidjan, il n’a pas eu pour vous envoyer ».
En Côte d’Ivoire, la fabrication et la commercialisation du pain sont l’affaire notamment des Libanais et des Malinké (groupe ethnique du Nord de la Côte d’Ivoire), mais sa consommation, elle, l’est des Baoulé (ressortissant du Grand Centre), d’où l’expression «Café-Baoulé».
Le «Café Baoulé» est une trouvaille typiquement Baoulé aussi simple que son nom. Prenez un verre d’eau, ajoutez-y deux à trois carreaux de sucre et vous avez votre « Café-Baoulé » prêt à la consommation. Il vous suffira d’y plonger vos morceaux de pain et lutter, à un rythme qui vous sied, l’entrée de votre bouche avec des mouches qui semblent plutôt se moquer de vous qu’être attirées par l’odeur du sucre, et voici votre mine aussi reluisante que celle d’un fonctionnaire ivoirien le 5 du mois au sortir du restaurant «Pako Gourmand » du quartier «les II plateaux » après avoir dégusté un copieux plat de pizza avec sa «maîtresse» ; ces femmes-là qui leur «enseignent» comment «bien» dépenser leur salaire puisqu’ils semblent ne pas savoir ce qu’il faut en faire.
Si je vous disais qu’en Côte d’Ivoire, rencontrer une femme Baoulé au cours d’un voyage sans son «pain d’Abidjan» est aussi rare que croiser un rebelle jihadiste à Konna, au Nord Mali, après le bombardement de l’armée Française, vous me diriez que j’exagère, vous n’avez pas tord, moi non plus.
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